La reine du Yangzi
enchaîne Olympe sur le même ton. Sérieusement, répondez-moi.
— Sérieusement, et si je ne suis pas trop indiscret, êtes-vous tombée amoureuse d’un de ces types qui vous tournent autour ? Si oui, donnez-moi le nom de l’heureux veinard que j’aille lui casser la figure !
Olympe éclate de rire. Cette façon très anglaise qu’a Samuel de répondre l’enchante.
— Non, Samuel. J’aurais beaucoup de mal à tomber amoureuse, vous vous en doutez. Charles est encore si présent en moi que je m’imagine mal succomber aux charmes d’un autre homme. Il me paraîtrait trop quelconque. Mais, pour ne rien vous cacher, je me demande si, parfois, je ne suis pas un peu trop veuve et s’il ne serait pas temps, à mon âge, de renouer avec une vie matrimoniale, au moins pour me sentir protégée. J’avoue que, parfois, me retrouver seule et sans défense dans cette grande baraque me pèse un peu.
— Pourtant vos enfants, les domestiques et les Hu vivent à demeure, non ?
— Oui, bien sûr. Mais ce n’est pas la même chose de savoir vos domestiques dormant tranquillement dans leurs chambres, deux étages plus haut, et d’avoir un homme dans son lit pour vous rassurer.
— Et les nuits sont fraîches en ce moment, c’est cela ?
Olympe apprécie une fois de plus la délicatesse de son vieil ami qui ne peut évoquer les choses de la chair que par périphrase.
— Pas seulement, répond-elle. À vous, je peux bien le dire : il m’arrive d’avoir peur. Surtout depuis que Joseph Liu m’a informé que nous avions été menacés par la Bande verte. Vous les connaissez ?
— Qui ne les connaît pas ? Nous avons été assez fermes ici avec eux. Nous avons jeté en prison quelques-uns de leurs membres, des seconds couteaux pour l’essentiel : cela a suffi pour leur montrer que force restait à la loi. Ils ont quitté l’international settlement, mais ce que vous venez de me dire confirme mes craintes : ils se sont rabattus sur la concession française.
— Où Joseph Liu m’a laissé entendre que la loi estmoins efficace que chez vous. Dans ces conditions, répondez franchement à ma question : est-il temps pour moi de me remarier ?
— Si vous en avez vraiment envie, pourquoi pas ? Vous ferez le désespoir de beaucoup de prétendants, mais je crois que tout le monde se réjouira de vous voir à nouveau au bras d’un homme. D’où ma question : en avez-vous trouvé un qui soit digne de vous ?
Olympe fronce les sourcils, saisit les jumelles de Samuel et jette un coup d’œil au dernier cheval qui prend place sur la ligne de départ.
— À vrai dire, je n’en ai aucune idée, répond-elle en reposant les jumelles.
Lawson lui lance un sourire à la fois complice et ironique.
— J’ai l’impression que vous me cachez quelque chose et que vous ne savez pas encore très bien quoi.
Pour toute réponse, Olympe le gratifie de son sourire le plus candide et s’exclame :
— On va donner le départ de la course, Samuel. Je ne vous ennuierai plus avec mes histoires, mais vous m’avez aidée plus que vous ne pensez. Je rentre chez moi apaisée.
— Vous ne restez pas pour le steeple chase ?
— Non, j’attends la visite d’un vieil ami.
— Un prétendant ?
— Plutôt une sorte de père ! Vous souvenez-vous de René Mattéoli, l’ingénieur naval, qui m’a menée jusqu’à l’autel le jour de mon mariage ? Eh bien, il est arrivé hier. Il a quitté définitivement la France pour venir vivre ici, à Shanghai.
*
Arrivé la veille, René Mattéoli a décliné la proposition d’Olympe de loger chez elle, au Trianon, en attendant detrouver une maison à son goût dans une des rues de la concession française. Il a pris pension au Central Hotel, sur le Bund anglais, de préférence à l’hôtel des Colonies qui n’offre pas le même confort. Après avoir quitté l’hippodrome, Olympe passe le chercher pour l’emmener dîner et, quand elle pousse la porte du hall, il se précipite à sa rencontre.
— Olympe, vous êtes toujours aussi superbe ! s’exclame-t-il en l’embrassant sur les deux joues.
Autour d’eux, quelques clients britanniques manifestent leur réprobation devant cette exubérance toute française et se détournent ostensiblement. Olympe n’en a cure et entraîne son vieil ami à l’extérieur.
— Depuis combien d’années n’étiez-vous pas venu à Shanghai ? questionne-t-elle en montant dans son coupé.
René Mattéoli prend
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