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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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de O’Neill. Un bâtiment taillé pour la course. Sans concurrencer les grands paquebots des Messageries maritimes ou de la Pacific and Oriental Steam Navigation Company dont l’agence de Shanghai occupe l’un des plus orgueilleux bâtiments du Bund, il mesureprès de cent mètres de long. Avec sa haute cheminée qui domine l’imposante passerelle centrale, ses lignes très profilées, il a quelque chose d’irrésistiblement nouveau. Avec lui, la modernité américaine a fait irruption sur les rives de la mer de Chine. Olympe est d’emblée tombée sous le charme et se demande parfois si celui qu’elle trouve à son amant ne tient pas en partie à la silhouette très virile de son navire.
    Avant de quitter Shanghai, Patrick voudrait s’assurer qu’elle l’accepte, qu’il n’a pas rêvé, qu’elle est bien la femme avec laquelle il veut faire sa vie. Mais, elle, sa vie, voudra-t-elle la refaire avec lui ? Allongé sur le lit un peu étroit pour deux de sa cabine, il la tient étroitement contre lui.
    — Patrick, pourriez-vous desserrer votre étreinte, murmure Olympe. J’aimerais ne pas mourir étouffée avant votre départ.
    — Excusez-moi, j’ai si peur de vous perdre, répond Patrick.
    — Pourquoi donc ? Je ne vais pas m’envoler. Et vous, vous allez revenir, n’est-ce pas ?
    Il la regarde éperdument. Jamais jusqu’à ce jour une femme n’a été si naturelle avec lui. Patrick O’Neill est un marin téméraire et fonceur, il aime surmonter les obstacles, se mesurer aux éléments, défier les tempêtes du Pacifique, aller plus vite que le vent mais, face aux femmes, il doute.
    — De quoi doutez-vous donc ? demande Olympe à qui il vient de faire cet aveu.
    — De moi-même, de ma capacité à les retenir ou à simplement les intéresser. Je me trouve maladroit, insipide et, pis que tout, sans esprit. Il y a peu encore, quand j’expliquais que j’étais capitaine de mon cargo, les femmes s’éloignaient. J’en ai déduit que mon métier leur faisaitpeur et qu’elles préféraient un homme moins exposé aux dangers ou moins remuant. Plus tard, lorsque j’ai créé ma société, j’ai cru les intéresser davantage mais j’ai rapidement compris que je ne correspondais pas à l’image qu’elles se faisaient d’un entrepreneur.
    — Pourtant, les femmes aiment rêver et un marin, c’est le grand large, le bout du monde, l’ailleurs, l’inconnu. Le frisson.
    — Les Américaines rêvent peu et frissonnent encore moins. Elles préfèrent les dollars.
    — Les Françaises sont moins intéressées et elles adorent éprouver de temps à autre quelques délicieux frémissements.
    — C’est bien ce qui me fait peur, dit-il. Je n’en reviens toujours pas de vous avoir contre moi, dans mon lit.
    — À vrai dire, moi non plus, répond Olympe, mais j’ai décidé de ne plus me poser de questions. Et vous feriez bien d’en faire autant, Patrick.
    Comment l’Américain pourrait-il lui avouer qu’avoir réussi à séduire la Reine du Yangzi, celle qu’on appelle aussi la veuve du Français, l’enivre et le tétanise à la fois ? Il en revient toujours à ses doutes malgré les abandons qu’elle vient de lui offrir, et le sourire qui éclaire son visage. Cette nuit, avant de partir, il veut en avoir le cœur net. Il veut une promesse, au moins, pour partir assuré qu’elle ne le quittera pas comme les autres et qu’il la retrouvera à son retour.
    — Je serai rentré dans deux mois environ, dit-il. Si tout va bien.
    — Je vous interdis que ça aille mal, Patrick ! Débrouillez-vous comme vous voulez, mais soyez là en juin. Je voudrais fêter la Saint-Jean avec vous.
    — Pourquoi la Saint-Jean ?
    —Parce que je n’ai pas sauté au-dessus d’un feu depuis longtemps. Et que j’aimerais le faire avec vous.
    — Vous tenez donc à moi ? murmure-t-il.
    — Cessez donc de vous poser des questions à tout bout de champ ! Contentez-vous de vivre, bon sang !
    — Je n’ai pas vraiment l’habitude.
    — Qu’avez-vous donc fait pendant tout ce temps ?
    — J’ai travaillé. Et c’est à peu près tout.
    — Moi aussi. Mais à présent nous sommes suffisamment grands pour nous accorder un peu de loisir, non ?
    O’Neill sourit gauchement, lisse sa moustache et prend la main d’Olympe entre les siennes.
    — Olympe, voulez-vous m’épouser ? demande-t-il.
    — Décidément, vous avez de la suite dans les idées ! fait-elle en s’écartant légèrement de lui. Que vous

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