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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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de ses yeux se met à briller d’une lueur plus douce.
    — Tu crois que l’on pourra s’arrêter de travailler un jour et nous occuper uniquement de nous deux ? J’aimerais tellement confier les rênes de la Compagnie à Louis et me reposer un peu.
    — C’est trop tôt, il est encore trop jeune pour diriger une société de cette importance.
    — Et nul ne sait quand il reviendra. Jamais peut-être, murmure-t-elle dans un soudain accès de tristesse.
    Devant sa détresse, Patrick se lève pour la prendre dans ses bras. Il ne supporte pas de la voir souffrir à cause de son fils et tente des paroles consolantes.
    — Il reviendra, évidemment, affirme-t-il. Et ce jour-là, quand vous aurez eu une franche explication, vous pourrez commencer à le former aux affaires, Joseph et toi. S’il était mon fils, je le ferais passer par les différents services de la société pour en apprendre tous les rouages. Et, ensuite, je l’emmènerais traverser le Pacifique jusqu’à San Francisco. Il faudra qu’il connaisse aussi l’Amérique, un jour ou l’autre.
    — Il n’acceptera jamais… Mais comment peux-tu être si certain qu’il reviendra ?
    — Quitter la maison familiale et les parents comme il l’a fait est normal à son âge. Nous le savons bien en Amérique et laissons nos enfants partir à la découverte du pays, de l’Europe ou du vaste monde. On appelle cela le « Grand Tour ». En fait, c’est une tradition héritée desAnglais. Généralement, ça dure un an, après quoi ils reviennent parce qu’ils en ont assez d’être loin de leur famille ou qu’ils n’ont plus un sou en poche et reprennent leurs études. Je te parie que, dans un an, tu le verras revenir et qu’il sera totalement transformé.
    Olympe a une moue dubitative.
    — Que Dieu t’entende s’il n’est pas trop sourd, comme d’habitude. Donc rendez-vous dans un an, en juillet 1895, pour vérifier que tu as raison.
     

 
     
     
     
     
     
     
    17.
     
     
     
    Les projets les mieux préparés ne se réalisent jamais comme on l’espère. Chang en fait l’expérience quand Yang Heiling lui annonce qu’il ne peut pas retourner à Tokyo. Comme Sun Yat-sen le lui a demandé, il est allé le voir avant de quitter Canton pour le Japon et Yang est formel.
    — C’est vraiment impossible, insiste-t-il.
    — Pourquoi ? s’étonne Chang. Je dois absolument rentrer là-bas pour rejoindre nos camarades et finir mes études, vous le savez bien.
    — Je crains que tu ne sois contraint d’y renoncer, au moins pendant un certain temps : les Japonais nous ont attaqués en Corée il y a un mois à peine, en juillet, et ils nous ont battus.
    Les yeux étonnés de Chang lui font un visage plus européen que d’ordinaire.
    — Je ne le savais pas, dit-il. J’ignorais même qu’ils nous avaient déclaré la guerre.
    — Ils n’ont pas eu besoin de le faire.
    — Si nous avons été battus, cela signifie que la guerre est déjà terminée, non ?
    — Au contraire, elle ne fait que commencer ! Les Japonais veulent chasser la Chine de Corée et ils iront jusqu’au bout. Ils veulent démontrer leur puissance. Tu ferais doncmieux de rester ici, à Canton, plutôt que de courir des risques inutiles au Japon.
    — Les Japonais ont toujours très bien accueilli les étudiants chinois…
    — Leur hospitalité pourrait n’être plus à l’ordre du jour, Zhu Chang. Installe-toi quelque temps à Canton, tu nous seras plus utile qu’à Tokyo. D’autant plus que nous avons des projets ici, ajoute Yang Heiling, sibyllin.
    Il allume une cigarette et dans la pénombre du jour finissant, la flamme de l’allumette fait naître des ombres dures sur son visage plat. Yang Heiling n’a que vingt-cinq ans, mais son autorité, sa volonté, sont palpables. Impressionné par Sun Yat-sen, Chang l’est encore plus par son adjoint. Sun est un intellectuel. Yang, un tacticien, un organisateur.
    — Des projets de quoi ? demande-t-il, captivé par l’atmosphère de conspiration que Yang Heiling vient de créer d’un simple geste.
    Yang tire une longue bouffée de sa cigarette et prend tout son temps pour exhaler la fumée, les yeux mi-clos, sa longue main droite en suspens dans l’air comme un oiseau paralysé en plein vol. Il hésite à parler, mais Zhu Chang lui a donné tous les gages de loyauté et il a toute confiance en lui depuis qu’il l’a fait initier à la Tiandihui, la Société du Ciel et de la Terre, une fraternité secrète à

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