La reine du Yangzi
s’est maintenue jusqu’à présent mais cette nouvelle défaite va la faire plonger, affirme M. Deng.
— Je suis sûr que les Anglais feront tout pour arrêter cette guerre rapidement, répond Joseph. Trop d’intérêts sont en jeu pour qu’ils laissent le conflit s’éterniser entre nous et le Japon. Et, malheureusement, les Qing accepteront de négocier s’ils ont la garantie de conserver leur trône.
— J’ignorais que vous les détestiez à ce point, dit Olympe. Si je vous comprends bien, il faudrait que la Chine fasse la révolution, c’est cela ? Nous pourrions vous donner des conseils, propose-t-elle pour alléger l’atmosphère.
Joseph Liu sourit. Plus que jamais, il regrette de taire à son associée le passé de Charles, de ne pouvoir luiexpliquer que, peut-être, quelque chose se prépare, une révolution, oui, si tout va bien, parce que des hommes plus jeunes que lui, plus éduqués, plus impatients de progrès politique ont décidé de tout changer et parce que, parmi ces hommes, il y a Zhu Chang, le fils caché de Charles qu’il protège, encourage et finance. Si Olympe l’apprenait, serait-elle fière ou heureuse de savoir qu’un peu de l’esprit et de la force de son mari est présent dans la génération qui pourrait faire entrer le vieil empire du Milieu dans l’âge moderne ? se demande-t-il sans pouvoir imaginer la réponse. Ne pourrait-il pas profiter de ce moment où, entamant une vie commune avec O’Neill, Olympe semble moins sensible au souvenir de Charles pour lui raconter qu’il avait autrefois une concubine chinoise et que cette femme lui a donné un fils ? Le temps est venu de se débarrasser de ce secret trop lourd à porter : les enfants d’Olympe sont suffisamment grands pour apprendre qu’ils ont un demi-frère et, qui sait, pour faire sa connaissance. Avec son caractère enflammé et sa soif d’idéal, Louis s’entendrait bien, il en est sûr, avec Chang, et Joseph rêve fugacement de les réunir pour qu’ils œuvrent ensemble à la nouvelle Chine.
— Je serais curieux de savoir ce que votre consul pense d’une révolution à la chinoise, finit-il par répondre avec une moue dubitative. À mon avis, il n’en approuverait pas du tout l’idée !
— Celui-ci, je n’en sais rien mais nous verrons bien avec le prochain qui devrait arriver en juillet. Un jeune diplomate dont on dit déjà le plus grand bien.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Paul Claudel.
18.
Lian a fait appeler Liu Pu-zhai de toute urgence. Depuis quelques semaines, elle est souffrante mais a mis sa maladie sur le compte de l’automne qu’elle déteste, humide, arrosé par les averses d’un ciel perpétuellement gris et bas, traversé par des vents soudains venus des plaines, porteurs des miasmes des marais de toute la région. En réalité, le climat n’y est pour rien. L’eau qu’elle a bue est la seule cause de son état. Les médecins ont soulagé sa fièvre et ses douleurs mais ce ne fut qu’un répit. Aujourd’hui, elle sent que le mal empire. Ses migraines sont insupportables, son ventre se tord et même l’acupuncteur ne parvient pas à la soulager. Elle se vide plusieurs fois par jour et sa faiblesse est telle qu’elle doit rester alitée.
Quand Joseph Liu pénètre dans la petite chambre où Lian est allongée, son visage émacié et son extrême pâleur lui confirment qu’elle est en train de mourir. Des fumées d’encens s’échappent du brûle-parfum, un petit lion en bronze que Charles lui a offert jadis, lorsqu’il l’aimait encore. Mais purifier l’air qu’elle respire ne suffira pas à la guérir. En la découvrant aussi affaiblie, avec ses orbites creusées, sa bouche desséchée qui se réduit à un trait, Joseph sait qu’elle est condamnée. Il n’a plus devant lui la femme séduisante et altière, au charme indéfinissable etau caractère déterminé mais une créature que les souffles vitaux abandonnent et que la mort guette.
— Maître Liu Pu-zhai, commence-t-elle d’une voix à peine audible. Je vous remercie d’être venu me rendre visite. Je ne vais pas bien et je crains de n’avoir plus beaucoup de temps devant moi.
— Ne dites pas cela, répond Joseph Liu, nous allons tout faire pour vous guérir.
Il ment mal. Lian a la fièvre typhoïde et rien ne pourra plus la sauver. Décharnés, ses doigts se crispent et de ses yeux éteints elle lui fait comprendre qu’elle n’est pas
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