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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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le secret de Charles et, du même coup, le sien. Comment Olympe pourra-t-elle lui pardonner de s’être tu si longtemps, de lui avoir caché que Charles avait un autre fils, quelque part dans la ville chinoise ?
    — Ah, Joseph, vous voilà ! s’exclame-t-elle d’une voixenjouée. Vous tombez bien. Je voulais avoir votre avis sur notre filature. Les plans me conviennent mais j’hésite encore sur son emplacement : concession française ou concession américaine, vous savez, sur ce terrain que j’ai acquis il y a quelques années et qui pourrait parfaitement convenir ? Qu’en pensez-vous ?
    Joseph prend toujours son temps avant de répondre. Il aime réfléchir et peser le pour et le contre afin d’apporter la réponse la plus correcte possible à la question qu’on lui pose. Une fois de plus, Olympe met sur le compte de la réflexion son long mutisme et se demande simplement pourquoi son visage s’est fait aussi grave pour une question aussi simple.
    — Olympe, je dois d’abord vous raconter une histoire, finit-il par dire d’une voix sourde.
     
    *
     
    Assise dans le rickschaw qui les emmène chez Lian, Olympe ne dit pas un mot, raide, hiératique presque, le regard vague. Joseph, muet lui aussi, regarde sans le voir le spectacle des rues de la ville chinoise. Olympe l’a écouté sans rien dire mais en se décomposant un peu plus à chaque révélation sur la liaison passée de Charles avec une Chinoise, l’existence d’un fils, de trois ans plus âgé que le sien, la mort prochaine de cette femme. Puis elle est restée prostrée, absente, les yeux fixés sur lui comme si elle s’efforçait de mieux comprendre ce qu’il venait de lui avouer. Après un silence interminable, quand il lui a demandé à mi-voix si elle acceptait de se rendre chez cette mourante qu’avait aimée autrefois son mari, elle s’est levée, somnambule égarée dans un cauchemar, et sans un mot l’a suivi docilement. En la voyant soudain à l’opposé de la femme pugnace qu’il côtoie tous les jours,Joseph s’est demandé si elle n’était pas en train de perdre la raison sous le choc.
    Repliée au plus profond d’elle-même, Olympe lutte pour ne pas s’effondrer, garder la face, ne rien laisser paraître, ne rien lâcher. Au fond de sa détresse, une voix ténue lui ordonne de rester digne, de dominer ses peurs, d’être maîtresse d’elle-même. La seule chose à faire est d’assimiler cette vérité qui a jailli, bête aveuglante et cruelle, et de la dompter malgré les déchirures. Lian exige de la voir ? Elle aussi veut maintenant connaître la femme qu’a entretenue Charles avant qu’elle arrive à Shanghai et avec laquelle il a continué de coucher pendant des mois, des années après leur mariage. Curiosité morbide plutôt que compassion pour une mourante.
    Ils sont parvenus dans le cœur de la ville chinoise. Un quartier où elle n’a jamais eu envie de revenir après avoir tué Kassoun. Frémissant à ce souvenir, Olympe a froid soudain. Joseph la précède. Une petite maison à un étage, un jardin, des arbres aux branches basses, une porte qui s’ouvre, son cœur bat la chamade en entrant dans cet univers inconnu. Submergée par l’émotion, elle a conscience que Charles, autrefois, a lui aussi pénétré cette maison, qu’il a dormi ici à côté de cette femme, qu’il a vu son premier fils naître entre ces murs. Elle découvre un lieu dont elle ne soupçonnait même pas l’existence, où il venait quand il ne voulait pas d’elle, ou si peu, pendant les premières années de leur mariage, elle voit ces chaises sur lesquelles il s’asseyait, tout ce petit monde chinois de vases, de peintures sur soie, de boîtes en laque, de coffres en bois de camphre. Prise à la gorge par les effluves d’encens qui imprègnent la maison, elle doit s’appuyer sur Joseph pour ne pas défaillir en montant l’étroit escalier. À mi-étage, elle est proche de renoncer, se dit qu’elle n’a pas à s’infliger pareille souffrance, pourtant elle continue,pour elle, pour Charles, pour ses enfants. Et aussi pour cette femme qu’elle va découvrir dans un instant et que la mort guette. Une porte qui grince, une chambre faiblement éclairée, une odeur écœurante de médicament, sur le lit une forme qui se tord de douleur mais qui s’immobilise à l’entrée d’Olympe.
    Bouleversé par le spectacle de ces deux femmes qui se confrontent en silence pour la première fois, Joseph renonce à parler et

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