La reine du Yangzi
d’arcs et de lances surgit du côté des murailles, cent mètres à peine avant la ligne de défense française, et se rue à l’assaut de la barricade avec des cris affreux. Les coups de feu claquent des deux côtés, des balles sifflent aux oreilles d’Olympe, des flèches se plantent dans les sacs de terre ou dans les morceaux de bois de la barricade, elle rentre la tête dans les épaules, accroupie par terre, recroquevillée sur elle-même dans un réflexe de survie, les Chinois hurlent « Tsa ! Tsa ! ». À côté d’elle, dans un brouillard de fumée, elle voit Darcy épauler, à peine protégé par une charrette couchée sur le côté en haut de leur barricade. Il prend tout son temps pour viser afin de ne tirer qu’à coup sûr. À sa gauche, un marin tire beaucoup plus vite et elle entend les cris des assaillants mortellement touchés. Leurs hurlements redoublent de rage et de férocité. Un Autrichien s’effondre sans un cri, tué net d’une balle en plein front.
Terrorisée, Olympe trouve la force de jeter un coup d’œil de l’autre côté à travers un interstice. En quelques minutes, la rue s’est couverte de cadavres mais les Boxers progressent toujours, mètre par mètre. Quand ils s’approchent trop près, une salve les décime, ils reculent un peu et d’autres les remplacent immédiatement. Elle a l’impression que rien ne peut les freiner et que, derrière, ils sont encore des milliers pour les submerger. Paralysée, elle reste recroquevillée sur elle-même, les yeux à hauteur des bottes bien campées de Darcy qui, étrangement, la rassurent.
—Ne faites feu qu’à coup sûr ! hurle-t-il à ses hommes au milieu des détonations, des cris et des râles. Ne gâchez pas vos munitions et assurez vos baïonnettes !
Nouvelle salve, nouvelle vague de Chinois à terre, mais quelques mètres franchis encore par les Boxers qui continuent obstinément d’avancer, indifférents à leurs pertes. Olympe entend d’autres détonations, plus lointaines, et des explosions. Les Boxers ont attaqué ailleurs. Peut-être l’assaut final contre les Légations.
— Courez vous mettre à l’abri, madame ! crie Darcy. Nous ne tiendrons pas longtemps.
Olympe fait non de la tête, incapable de quitter cet abri dérisoire où elle a fait son trou comme une bête traquée. Elle se demande si Patrick se trouve, là-bas, dans la même situation, si les balles pleuvent autour de lui, s’il est vivant ou si les obus qui se sont abattus tout à l’heure sur le quartier américain l’ont pulvérisé. Un cri de douleur soudain et un soldat français s’écroule à ses pieds, touché à mort. Son fusil tombe sur elle, la baïonnette fixée au bout du canon percute violemment le dessus de son crâne. Elle hurle, surprise et douleur mêlées, mais, en même temps, c’est comme si elle se réveillait d’un cauchemar. Rattrapée par la réalité, elle perçoit plus intensément le bruit, la hargne, l’odeur de la poudre, celle du sang de ce malheureux qui vient de mourir, le visage emporté par une balle ennemie, et sent qu’elle ne peut plus rester passive.
Elle saisit le fusil, un de ces Lebel qu’elle a déjà eu l’occasion de voir de près. Il est lourd, poisseux, il sent la sueur, l’acier chaud et la mort, mais c’est comme un déclic qui s’opère en elle, comme si elle se ressaisissait d’un coup, entrait de plain-pied dans le drame qui se joue autour d’elle, comme si elle en voulait sa part, y jouer son rôle, se défendre elle-même et ne pas laisser sa vie aux seules mains des autres. Ne plus rester tétanisée, apeurée,redevenir digne de son nom. Olympe actionne la culasse pour faire monter une cartouche dans la chambre, jette à nouveau un coup d’œil de l’autre côté, se redresse lentement, appuie le canon du Lebel sur un sac de terre coincé entre une armoire couchée sur le côté et les débris d’un lit, empoigne fermement l’arme, cale la crosse de bois contre son épaule, y colle sa joue, pose son index sur la queue de détente, aligne son œil sur la ligne de mire, vise une cible au hasard dans les rangs serrés des Boxers qui ne sont plus qu’à vingt mètres et tire. Le recul de l’arme écrase son épaule et la fait presque tomber. Le fusil de guerre est beaucoup plus puissant que son fusil de chasse. Le temps de voir qu’elle a fait mouche et déjà elle s’est remise à couvert pour recharger.
« C’est comme à la chasse mais c’est un Han que
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