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La reine du Yangzi

La reine du Yangzi

Titel: La reine du Yangzi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Baudouin
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garçons et les fillettes postés devant les machines dans un bruit infernal.
    — Regardez, ils n’ont même pas dix ans ! Comment osez-vous les faire travailler ? Leur place est à l’école, pas dans une usine.
    Blême, le directeur de la filature a reculé de trois pas. C’est un jeune Irlandais recruté deux ans plus tôt lorsque Olympe a créé l’usine. Depuis, la Compagnie du Yangzi s’est intéressée aux autres filatures de coton et en a acquis une dans la concession internationale, l’American Cloth Factory. Jusqu’à ce jour, Louis n’a pas eu le temps de s’y rendre et il est rétrospectivement horrifié d’y avoir engagé des enfants sans le savoir. Ici, il en voit bien une vingtaine, mais combien y en a-t-il dans cette autre usine qu’il vient d’acheter près de Hangzhou et qu’il ne connaît que sur le papier ?
    — Il faut engager des adultes, pas des enfants, monsieur Spencer ! poursuit Louis. Renvoyez ceux-là chez eux après leur avoir payé ce que nous leur devons.
    — Si nous faisons cela, monsieur Esparnac, nouscondamnons une vingtaine de familles à la famine, plaide Spencer. C’est le salaire de ces enfants qui les nourrit.
    — Vous n’avez qu’à engager les parents !
    — Ils vous coûteront plus cher.
    — Et alors ?
    Spencer toussote, gêné.
    — Votre marge baissera d’autant, reprend-il. Et vous mettrez donc plus de temps à rentabiliser votre investissement.
    Le sourire que dessinent les lèvres de Louis n’a rien d’amical.
    — Comme c’est aimable à vous de vous préoccuper de cet aspect des choses, ironise-t-il. Moi, je crois que c’est plutôt pour augmenter la marge et donc votre prime de résultat que vous préférez employer des enfants. Je me trompe ?
    Spencer rougit et sa carnation déjà couperosée vire à l’écarlate.
    — L’argent, hein ? Il n’y a que ça qui vous intéresse, n’est-ce pas ? Même au détriment de la santé de gamins qui tiennent à peine sur leurs jambes. Bon, écoutez, Spencer, c’est simple : ou vous renvoyez ces enfants chez eux et engagez des adultes, ou c’est vous que je renvoie, vous avez compris ?
    — J’ai bien compris, monsieur Esparnac, mais si je renvoie ces enfants chez eux, leurs parents croiront qu’ils ont été chassés de chez nous pour avoir mal travaillé et ils les battront comme plâtre. Je ne veux pas être responsable de ce massacre. Ni vous non plus, je suppose.
    Louis soupire. Spencer a raison. Il ne peut pas laisser partir les enfants sans garantie. Comme s’ils devinaient ce qui se passe, les petits l’observent en silence. Rien sur leur visage inexpressif ne trahit la moindre émotion. Ni crainte, ni interrogation, ni attente de quoi que ce soit. Commes’ils acceptaient d’avance leur sort, quel qu’il soit. Louis ne comprend toujours pas comment les Chinois, enfants comme adultes, femmes comme hommes, restent aussi impassibles quand ils se trouvent en face de lui. N’éprouvent-ils donc aucune émotion ? Sont-ils déjà résignés, prévoyant que rien de bon, jamais, ne peut leur arriver ? Combien de fois, au Trianon ou dans les bureaux de la Compagnie, a-t-il eu envie de les secouer pour les obliger à exprimer leurs sentiments quand ils restaient sans réaction après une réprimande ou une question ? Il se tourne vers le contremaître chinois.
    — Allez voir les familles de ces enfants, ordonne-t-il d’une voix rude, et dites-leur que les pères ou les mères doivent venir faire le travail de leurs enfants et qu’ils seront mieux payés. Quant à leurs gosses, expliquez-leur qu’on va les envoyer à l’école.
    — Vous allez leur payer l’école ? Chinoise ou occidentale ? questionne Spencer, incrédule.
    — Selon ce que leurs parents décideront, sans doute un mélange des deux, répond Louis. Il faut éduquer tous ces petits Chinois mais avant, on va les confier à ma sœur Laure qui s’occupe des œuvres de notre mère pendant son absence.
    — Vous êtes sérieux, monsieur Esparnac, quand vous parlez d’éduquer ces Chinois ? Ils n’y arriveront jamais, voyons, ils n’ont ni notre intelligence ni nos universités.
    — Que savez-vous de leur intelligence, monsieur Spencer ? Elle est bien plus grande que vous ne l’imaginez. Un pays qui a donné Confucius et de merveilleux poètes au monde, qui a bâti la Grande Muraille, ou creusé le canal de Canton à Pékin, qui a inventé l’imprimerie et l’art du jardin, pensez-vous vraiment qu’il

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