La Religion
furieuses se répercuta sur l’obscurité des montagnes, au moment où pas loin d’une centaine de canons de siège lâchaient une première salve qui sembla avaler l’air de leurs poitrines. Des flammes rugirent, orange et jaune et bleu, sorties des canons des couleuvrines ornées de têtes de dragons, et des cascades d’étincelles s’élevèrent dans l’air embaumé de la nuit. Dans la brève mais étincelante lumière surgie des gueules de bronze, ils aperçurent des soldats massés sur les pentes en énormes carrés. Des soldats massés par milliers et dizaines de milliers.
Et tous impatients et désireux de voir le visage de Dieu.
« Dieu du ciel », dit Bors, avec une crainte mêlée de respect.
Dans le stupéfiant silence qui suivit le monstrueux tir de barrage, un imam cria une exhortation à la multitude des croyants. La horde de gazi répondit comme un seul homme, avec un rugissement d’exaltation qui était plus fort et de très loin bien plus terrifiant que la colère du canon.
« Allahu Akabar ! »
Le cri balaya la mer comme un vent sorti des portes de l’enfer. Aucun membre de cette petite troupe de chrétiens n’avait jamais entendu son pareil, et le sang de chaque homme se glaça comme les eaux du Styx.
« Allahu Akabar !
– Pour le Christ et le Baptiste ! » hurla Bors, car il refusait d’être battu, et les hommes dans les barques entamèrent la riposte. Mais ils étaient peu, et on ne les entendait pas, et la gorge de la horde s’ouvrit encore une fois.
« Allahu Akabar ! »
Et Tannhauser sut, à cet instant, comme d’autres hommes autour de lui et pas seulement dans les rangs musulmans, que c’était le hurlement primal du plus profond de son cœur. Le hurlement qui faisait écho aux millénaires. C’était la voix d’un dieu dont le pouvoir avait été ancien quand toutes les autres déités n’étaient pas encore nées, dont la domination subsumait toutes les fois et les croyances plus faibles, et dont le règne verrait toutes les autres idoles se changer en poussière. C’était l’ordre de s’agenouiller devant l’autel de la guerre. Une invitation à soulager cette soif qui affligerait toujours les hommes, et qui ne serait jamais complètement étanchée. Tannhauser sentit son souffle se bloquer dans sa poitrine et des larmes lui montèrent aux yeux. Il les essuya et inspira la quintessence du sens de la mortalité. C’était cela que signifiait être un homme. Cela, et rien d’autre que cela ; que ce soit élevé ou indigne.
« Oh, mon Dieu », dit Bors. Et ses yeux aussi brillaient de larmes. « Oh, mon Dieu. »
Le cri de bataille des musulmans se changea en un grognement de rage informe, et les fanfares martiales des janissaires résonnèrent tandis que des volées de tirs de mousquets éclataient. Puis des trompettes aiguës sonnèrent et les bannières se dressèrent haut dans les airs, et la horde invincible roula sur les pentes vers Saint-Elme.
Le fort répliqua avec des coups de canon, des tirs d’arquebuses craquèrent tout le long des bastions. Les fusées turques explosaient bien au-dessus et quand la première vague atteignit la douve et s’élança sur les ponts improvisés, des jets de feu grégeois firent irruption des mâchicoulis des remparts chrétiens, et des arcs brûlants dégringolèrent dans le noir pour piéger l’ennemi. En quelques minutes, tout le saillant sud-ouest fut illuminé d’hommes en feu, d’explosions et de lacs de flammes. Il y avait assez de lumière pour que les canons de seize livres de Saint-Ange puissent ouvrir le feu, et des boulets hurlèrent loin au-dessus du convoi, ouvrant des brèches furieuses de sang dans la charge musulmane. Une fumée mordante se répandait sur l’eau, avançant vers eux, et des spirales tordues grimpaient vers le visage de la lune. Les rameurs se penchèrent sur leurs bancs, tirèrent, et les barques reprirent leur avancée à travers la chaleur et la fumée comme si elles emportaient leur charge d’Argonautes vers le lointain rivage de la damnation. Puis une volée de coups de feu éclata, à moins de trois cents pieds d’eux, et un cri retentit en espagnol.
« Les infidèles sont sur nous ! »
Tannhauser scruta les ténèbres argentées. Une barque turque s’était faufilée sous la fumée et avait tiré une vaste salve de mousquets sur la première barque de leur convoi. Le bateau n’était plus qu’un chambardement de moutons bêlants
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