La Religion
industrieuse. Les hommes de Torghoud réparaient les canons cloués et reconstruisaient les batteries, ainsi qu’une palissade défensive contre une attaque ultérieure. L’aube de la veille semblait appartenir à un lointain passé ; et demain paraissait bien loin. Peut-être que Carla avait raison. Peut-être avaient-ils tous raison. Embrasse la Providence. Et que la volonté de Dieu soit faite.
« Difficile de faire cesser les piqûres à coups de pied, murmura-t-il.
– Quoi ? » dit Bors.
Les canons du cavalier crachèrent à nouveau et des boulets aspirèrent l’air en passant au-dessus de leurs têtes. Dans quelques secondes, dans la pénombre lointaine, quelques autres vies allaient être anéanties et ne le savaient pas encore.
« Viens, dit Tannhauser, allons voir si le grand maître m’a octroyé mon souhait. »
DIMANCHE 10 JUIN 1565 – PENTECÔTE
L’auberge d’Angleterre – La traversée
– Le poste d’honneur
TANNHAUSER SE PENCHA sur son coffre de guerre et empila quelques articles dans un sac. Dix tablettes d’opium emballées dans un tissu huilé, divers médicaments et décoctions, deux bouteilles de brandy, une demi-douzaine de jarres de conserves sucrées – coings, abricots et fraises. De tels cadeaux étaient nécessaires, car il faudrait sans doute corrompre ou graisser quelques pattes. Il refusait d’envisager qu’il pourrait se retrouver à les consommer lui-même. Carla n’était pas encore revenue de l’infirmerie, et il était heureux d’éviter explications et aux revoirs.
« Que fais-tu ? »
Il se retourna vers la voix douce et musicale avec un serrement de cœur. Amparo se tenait dans la lumière jaune et les ombres, à la porte de sa cellule monastique. Il sourit. « Là où je vais, deux choses deviennent inestimables, pendant que l’or et les pierres précieuses prennent autant de valeur que la poussière. Peux-tu deviner quelles sont ces deux choses ?
– La musique et l’amour », répondit-elle sans hésiter.
Il se mit à rire. « Tu as ridiculisé ma devinette, et j’avoue que tu as raison. Ma réponse était bien moins poétique. » Il posa le sac sur le lit où son armure était déjà emballée. « Des choses qui calment la douleur et des douceurs sucrées. Mais au moins, je peux les mettre dans un sac.
– La musique et l’amour ne sont pas bienvenus en enfer ? »
Il s’approcha d’elle. Ses yeux étaient noirs et sans peur, et il combattit son envie de perdre son âme en eux. « Au contraire, le diable lui-même en a un besoin maladif.
– Tu y vas pour ramener Orlandu de la guerre », dit-elle.
Il fit oui de la tête. Saisi d’une impulsion, il dit : « Peux-tu garder un secret ?
– Mieux que quiconque. »
Il fut surpris de constater qu’il n’en doutait pas. « Après cela, je prévois d’échapper à la guerre elle-même et de retourner en Italie. Viendras-tu avec moi ?
– J’irai n’importe où, où tu voudras que j’aille. »
Sa bouche s’entrouvrit et son corps oscilla comme pour contrer le désir de se presser contre lui. Il la prit par la main pour la faire entrer dans la pièce et l’adossa au mur. Elle leva son visage et il l’embrassa. Elle ne ferma pas les yeux et lui non plus. Ceux d’Amparo étaient pleins de questions ; peut-être reflétaient-ils les siennes. Ils avaient déjà satisfait certaines envies moins d’une heure auparavant et pourtant il sentait son sexe se gonfler de lubricité. Il la lâcha, avant que la retraite ne soit plus réalisable, et il recula.
« Quand reviendras-tu ? demanda-t-elle.
– Demain, dans la nuit. »
Il passa le sac sur son épaule et saisit son armure emballée et son mousquet à ressort, graissé de frais et amorcé. Il avait laissé le pistolet dans le coffre. Il désigna le mousquet de Damas, toujours enveloppé dans une couverture et posé contre le mur. Le flacon à poudre turc ouvragé et la poche de balles y étaient accrochés.
« Tu veux bien porter cela pour moi ? » demanda-t-il.
DANS LE RÉFECTOIRE, BORS couvait son vin. Quand Tannhauser posa ses affaires sur la table, Bors mit un point d’honneur à ne pas lever les yeux.
« Eh bien, que voilà un amer au-revoir pour un vieil ami », fit remarquer Tannhauser.
Bors grogna et le repoussa d’un geste de la main.
Tannhauser prit le fusil roulé dans la couverture qu’Amparo portait. « Puisque tu en avais toujours voulu un,
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