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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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Cela faisait plus de treize ans qu’elle ne l’avait pas vu. Sa fleur de l’âge était encore plus magnifique que sa jeunesse.
    Lors de toutes ces semaines à Malte, elle avait été entourée d’hommes qui exprimaient jusque dans leurs os la fascination d’une existence bien au-delà de toute comparaison. Mattias, Lazaro, La Valette, Bors, les nombreux chevaliers qui faisaient trembler la terre en descendant la rue ; des hommes qui avaient décidé que ce monde était là pour qu’ils y impriment leur marque. De chacun d’eux émanait sa propre essence distinctive. Ils entraient avec dans n’importe quelle pièce, comme ils traînaient leur ombre. Ludovico, lui, dégageait l’aura d’un envoyé dont les maîtres régnaient sur un monde infernal jamais encore cartographié par Dieu. Ni par Satan, ni par l’homme. Il s’était attablé avec des papes, des rois, et avait senti que leurs cœurs battaient plus vite. Pas le sien. Il avait pataugé dans maintes rivières de sang innocent. Et il était le père de son enfant.
    Depuis la porte, il la regardait sans dire mot, ses yeux noirs parfaitement indéchiffrables. Il aurait pu être en train d’étudier sa prochaine victime ; aussi bien que de contempler l’amour de sa vie. Avec une angoisse certaine, Carla se rendit compte que la seconde hypothèse était probablement la bonne. Elle se demanda depuis combien de temps il se tenait là, l’observant à sa toilette. Il la regardait maintenant sans la moindre expression. Comme il avait peut-être regardé les hérétiques badigeonnés de poix enflammée, appelant Dieu de leurs cris tandis qu’on les forçait à se jeter du haut de la falaise.
    Elle découvrit qu’elle n’avait pas peur de lui. Pas encore. Elle ressentait plutôt une étrange affection, très inattendue, une tendresse teintée de tristesse. Une sorte de pitié. Comme il avait été beau, et comme il était beau, et combien terrible était le sentier qu’il avait suivi entre-temps. Peut-être que l’affection demeurait toujours, quoi qu’il advienne, envers un homme qu’on avait aimé jusqu’au bord de la folie juvénile. Un homme qui n’avait pas seulement brisé son cœur, mais qui avait brûlé la structure de son existence jusqu’à en noircir ses pierres angulaires.
    À l’époque, Ludovico lui était apparu comme une créature sauvage, emprisonné de sa propre volonté dans les chaînes de ses vœux. Des chaînes qu’elle avait le pouvoir de briser. En lui faisant rompre ses vœux, elle croyait qu’elle échapperait aux siens propres, car la liberté n’était-elle pas la première et la plus brillante promesse de l’amour ? Ils avaient fait l’amour dans l’ombre d’étroites vallées, l’herbe desséchée mettant à vif la peau de son dos. Ils avaient fait l’amour dans les cavernes et les temples de tribus oubliées et devant la statue païenne de la Grande Mère de pierre à Hal Saflieni. Dans la phosphorescence étincelante de la Grotte bleue et le chuchotement amoureux de la mer, il avait couvert ses cheveux de fleurs du matin. Mais la promesse avait été brisée, et durant tout ce temps elle s’était forgé une cage, la cage qui était tout ce qui lui était resté quand Ludovico avait disparu dans la sienne.
    De l’autre côté de la pièce, Ludovico la regardait toujours.
    Se remémorait-il aussi cette liberté enivrante, quand la passion les avait rendus immortels et immunisés contre toutes les peurs ? Elle ferma un instant les yeux pour rassembler ses pensées et rompre son sortilège. Cet homme, qu’elle avait aimé et dont elle avait porté le fils, avait également élaboré les tourments et le massacre de milliers de gens. Il était la main noire du pape. Quoi qu’elle puisse lui dire, et il y avait beaucoup à dire, la conversation ne ferait que l’entraîner dans un filet qu’elle avait tissé elle-même. D’une certaine manière, elle le savait très clairement. Elle savait que c’était vers cela qu’il tendait, et qu’il pourrait jouer de ce filet à volonté. Elle mourait d’envie d’ouvrir son cœur, de raconter les années de leur séparation, son déchirement, sa rage, son apitoiement sur son propre sort. Sa quête pour retrouver son fils – leur fils – et avec cet enfant les pièces perdues et oubliées de son entièreté. Mais c’était ce qu’il voulait. C’était ce qu’il escomptait. Elle rassembla la volonté qu’elle avait eue pour nettoyer

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