La Religion
escompté, sur la splendeur ostentatoire de son costume pour annihiler tout délai. Une fois en rase campagne, et hors de vue des sentinelles, il vira brusquement vers l’ouest, mit sa monture au petit trot et laissa derrière lui le vacarme de la bataille perpétuelle.
LES ÉCLAIREURS DE LUGNY le capturèrent en terrain découvert, au pied de la pente rocheuse montant vers la ville de Mdina. Ils formèrent un cercle de menace autour de lui sur leurs destriers de bataille aux dents écumantes – lusitaniens et andalous, croisés d’ardents suédois pour la taille. Les visières des chevaliers étaient baissées, leur sang était chaud, et, sans l’ordre formel de ramener tout prisonnier pour la torture, ils auraient été ravis de lui trancher la tête sur place. Ils faisaient des commentaires graveleux sur son caftan, qu’ils trouvaient apparemment très féminin. Malgré cela, aucun ne riait, indignité que Tannhauser aurait accueillie avec joie pour alléger l’atmosphère. Après tout, la tête tranchée d’un Turc leur apporterait au pire une légère réprimande, et claquemurés comme ils l’étaient dans Mdina, loin du massacre déséquilibré qu’ils aspiraient à rejoindre, les prises étaient rares.
Il fut soulagé de voir arriver le chevalier de Lugny avec le contingent entier de cavalerie de la Religion, soit deux cents chevaliers. Sur leurs armures, ils portaient des surcots rouges avec une grande croix blanche. Cet accessoire avait paru bien plus seyant sur Amparo. Lugny reconnut immédiatement Tannhauser comme « l’espion » qui avait guidé le raid sur la pointe aux Potences.
« J’ai réclamé vos services, il y a bientôt un mois, capitaine, dit-il. On m’a affirmé que vous étiez mort.
– Les fausses rumeurs abondent en de telles périodes, répliqua Tannhauser.
– Pourrions-nous savoir à quoi vous avez passé cet interlude ?
– À me remettre de mes blessures.
– Chez les démons musulmans ?
– Dans la tente d’un de leurs généraux. »
Parfois la réponse la plus brave est la meilleure, et cela s’avéra. Pendant un instant, le visage de Lugny fut l’image parfaite de la perplexité. Le chevalier sur sa gauche, l’un des éclaireurs qui avait capturé Tannhauser, releva sa visière : il avait un visage jeune mais une expression vénéneuse et cet air fat de supériorité innée qu’aucun échec dans ce monde ne parviendrait jamais à saper.
« Alors vous avez beaucoup à relater à notre grand maître, dit Lugny.
– C’est pour cela que je vais à Mdina. J’ai besoin d’un Maltais pour me conduire dans le Borgo. »
Le fat se mit à parler, confirmant les impressions de Tannhauser.
« Peut-être aviez-vous aussi beaucoup à raconter au Grand Turc. »
Tannhauser le regarda. Il envisagea brièvement d’ignorer l’insulte, mais les obscénités sur son caftan l’avaient peut-être touché plus profondément qu’il ne le pensait. Il dit : « J’ai passé treize jours à Saint-Elme. Les treize ultimes et derniers jours. »
Des regards furent échangés et certains firent le signe de croix en honneur de ce combat légendaire.
Tannhauser poursuivit. « Quand les janissaires dévalaient la colline nous pensions souvent à vous autres, en train de polir vos armures et de vous gorger de vin, bien en sécurité à Mdina. »
Plusieurs épées quittèrent leurs fourreaux, dont celle du fat. Des serments furent prononcés. Les chevaux de bataille piaffaient en sympathie pour leurs cavaliers.
Tannhauser arma son fusil contre sa hanche. Leur sens boursouflé de l’honneur l’offensait soudain. Peut-être n’avait-il pas encore tous ses esprits suite à sa blessure ou à l’opium fumé la veille. Peut-être en avait-il juste assez de cette folie guerrière. Il avait à peine retrouvé le bon humour flegmatique qu’il chérissait, et voilà que le fat allumait une étincelle trop près du tonneau de poudre. Une rage inhabituelle, qu’il avait connue jadis, envahit le crâne de Tannhauser.
« Ôtez ces armures, dit-il au jeune fat, et je vous prends tous les trois. À pied, j’en prends cinq, n’importe lesquels. »
Il talonna sa monture pour la faire avancer d’un pas. Le jeune fat devint blême jusqu’aux lèvres. S’il avait levé son épée, Tannhauser lui aurait tiré en plein visage. Au-delà de cela, malgré ses rodomontades, il ne faisait aucune prédiction. Lugny, qui connaissait mieux les
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