La Religion
hommes que son jeune camarade, leva la main. « Assez ! commanda-t-il, avant que ne soient dites des choses que l’on ne pourrait jamais passer sous silence. »
Le regard de Tannhauser ne flancha pas. Les paupières du jeune fat clignèrent plusieurs fois, puis il détourna les yeux. Tannhauser se tourna vers Lugny avec un sourire terne. « Donc, je peux compter sur l’un de vos Maltais.
– J’ose penser que vous pouvez », dit Lugny, soulagé. Il inclina la tête en direction du grondement des canons au-delà des collines. « Comment tourne la bataille ? Nous avons entendu le vacarme et décidé que nous en avions assez de polir nos armures et de boire.
– Le Borgo va tenir, dit Tannhauser, mais je doute que Saint-Michel résiste une heure de plus.
– Ils ont déjà tenu.
– Les bannières des janissaires flottent sur les remparts.
– Pourrions-nous les attaquer sur leur flanc ? »
Tannhauser réprima un regard compatissant. « Mustapha a vingt mille hommes de réserve sur les hauteurs. »
Lugny fronça les sourcils. « Comment leur campement est-il défendu ?
– Leur camp ? » C’était une question idiote que, normalement, Tannhauser n’aurait pas laissée échapper. Son estomac lui dit soudain que cette journée, qui avait déjà trop affaibli sa santé vacillante, allait prendre un tour bien pire.
« Le camp turc, dit Lugny. L’hôpital, si vous pouvez l’appeler ainsi. Le train, les vivres, les réserves. Les cuisiniers, les conducteurs de bestiaux, les nègres. Leur espèce de marché… »
Avant que Lugny n’ait achevé cette liste de damnés, Tannhauser avait compris qu’ils iraient sur place s’en rendre compte par eux-mêmes, quoi qu’il dise. Il choisit la vérité.
« Même la pointe aux Potences était mieux défendue. Il y a une vingtaine de lanciers à cheval, très espacés. Une compagnie de piétons thraces qui creusent des latrines. Et comme vous dites, des cuisiniers, des conducteurs, des esclaves désarmés, et les malades, les blessés. Pas de fortifications, ni de palissades. Tous les bataillons de ligne sont sur les hauteurs. »
Lugny ne lui avait jamais semblé le plus fourbe des hommes, mais tous les Français de sa connaissance faisaient montre d’une joyeuse duplicité innée qui les servait bien, au moins dans des moments comme celui-ci. Lugny se pencha en avant sur sa selle.
« Vous allez cavaler jusque dans le camp devant nous, dit-il, au galop. Feignez d’être blessé. Lancez l’alarme. Dites-leur que les renforts chrétiens de Sicile sont arrivés et avancent vers leurs arrières, et qu’il faut en informer Mustapha immédiatement. Il n’aura pas d’autre choix que d’arrêter l’assaut sur Saint-Michel.
– S’il croit cette fausse nouvelle.
– Oh, il la croira », affirma Lugny.
Il sourit et Tannhauser vit ce qu’il avait en tête. Il se sentit mal.
« Et après cela ? demanda-t-il.
– Après cela, écartez-vous juste de notre passage. »
Tannhauser doutait que ce soit aussi facile à faire qu’à dire. « Avec votre permission, dit-il, je prendrai un de ces surcots rouges. »
Lugny sourit, comme un filou en rassurant un autre, et, sans presque se retourner, ordonna au jeune fat de lui donner son surcot. Avec mauvaise grâce, le jeune homme retira le manteau de guerre sans manches et le jeta à Tannhauser. Tannhauser le roula et le fourra dans ses fontes. Puis il s’immobilisa, comme frappé d’une idée soudaine.
« Si vous cherchez du butin, dit-il, les tentes des commandants et de l’état-major sont séparées du reste, en haut des collines. Mais elles sont nettement mieux protégées – par une compagnie de mousquetaires – et elles sont à moins d’un mille des renforts que Mustapha pourrait immédiatement envoyer. »
C’était une exagération de la vérité, mais il voulait les dissuader de passer Orlandu, et également l’Éthiopien, au fil de leurs épées.
« Nous connaissons le campement clinquant de Mustapha, dit Lugny, et son jour viendra. Mais ce matin nous n’avons pas soif de butin. Nous avons soif de sang. »
TANNHAUSER REFIT EN SENS inverse le chemin vers le périmètre turc. Les bruits de la bataille gagnaient en intensité. À un quart de mille de distance, il aperçut les deux premières sentinelles et il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. La cavalerie de Lugny était invisible. Il secoua ses muscles affaiblis et lança sa
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