La Religion

pêle-mêle, vers les pentes fumantes où des milliers d’ennemis résolus les attendaient.
    Bors posa son mousquet et tira son épée. Il regarda Tannhauser, qui tournait la clé de son fusil avec la ferme intention de rester près du mur.
    « Allons, dit Bors, cette fille n’a pas pu te vider les couilles à ce point. »
    Tannhauser posa son fusil contre le mur et enfila ses gantelets. « C’est bien parce que tu ne me laisseras jamais entendre la fin de tout ça si tu survis. »
    Ils se joignirent à cette charge vers la perdition et, comme si elle jaillissait de quelque puits empoisonné dont la source ne tarirait jamais, la béatitude maléfique du combat envahit une fois de plus les veines de Tannhauser. Il portait un salet et une demi-armure, glanés sur les piles grandissantes, et tandis qu’il courait, la sueur coulait sur ses flancs comme un grouillement de poux. Son épée était une lame de Passau, dite Running Wolf. Il sauta par-dessus des compagnons gémissant dans leurs propres entrailles. Il se rua dans la ligne, frappant de pointe et de taille, piétinant les mourants et les morts. Il évita les coudes battant l’air, et bloqua les lames qui sifflaient. Il se creusait un espace au pied du talus lorsqu’une forme verte le surplomba soudain et il envoya un revers sous les genoux, sentit un double claquement dans son poignet quand les deux tibias cédèrent, puis plongea sa lame dans les tripes de l’homme qui tombait sur l’éboulis. Les assauts ascendants étaient odieux, mais c’était ainsi que les janissaires gagnaient leur pain quotidien. Ignorez la sueur et respirez. Son bras remuait, en partie comme de sa propre volonté, sortant des coups que son esprit était trop lent pour préméditer, comme un joueur renvoyant des balles sur les terrains de la Pallacorda, et c’était une satisfaction plus que profonde. Il y avait de la joie dans une gorge grande ouverte. Il y avait une sorte de beauté dans l’union de l’action et de l’intention, quand l’épée fendait un crâne sous son turban, dispersant cervelle et globes oculaires d’une seule frappe. Cela n’aurait pas dû être ainsi, mais ça l’était, et tel était le monde, et aujourd’hui était ce jour-là, le jour d’écrire votre nom dans le livre de la vie.
     
    ENVIRON UNE HEURE de terrible corps à corps passa sous la brûlure du soleil d’août, l’air vivant de cris et du bourdonnement du Pater Noster. L’armure de Tannhauser était couverte d’une boue indigo et son poids devenait épuisant. Ce combat était difficile, mais Bors et lui avaient éclairci leur partie du talus avec une promptitude raisonnable, et aussi loin qu’il pouvait voir – ce qui n’équivalait pas à vingt pieds dans toutes les directions – des Turcs tombaient et la marée avait tourné. Puis, à quelques pas sur leur droite et vers le bas de la pente, des cris s’élevèrent.
    « Le grand maître est à terre ! »
    Le mot se répandit comme une vérole tout le long de la vaste ligne et plus la nouvelle s’éloignait, plus elle empirait. D’ici à quelques centaines de pas, se disait Tannhauser, La Valette serait en train de se faire défoncer par le cheval de Mustapha. À côté de la puanteur prégnante d’une panique renaissante, le désastre planait car soldats et chevaliers se ruaient à la rescousse de leur prince. Dans cet état de chaos généralisé, peu savaient où il se trouvait en fait, et le résultat était proche de l’émeute. Si les Turcs avaient l’idée de reprendre l’avantage, la marée allait s’inverser à nouveau, et pour de bon. Bors faisait tout un plat d’achever un janissaire moitié plus petit que lui. Tannhauser frappa le Turc dans la nuque avec sa dague pleine de sang et le fit tomber, puis il fit signe à Bors de le suivre.
    Ils tombèrent sur une haie de combattants plus sauvages que tout ce que Tannhauser avait vu dans sa vie, une foule de Gaulois devenus fous furieux pour protéger leur seigneur de la guerre. Les janissaires, percevant que la victoire n’était qu’à un cheveu de leurs sabres, s’engageaient dans le combat avec tout autant de courage et de fureur. Tannhauser et Bors firent le tour de la mêlée et se frayèrent un passage jusqu’au cercle de chevaliers entourant La Valette.
    Regardant par-dessus leurs têtes sans trop de problème, Tannhauser découvrit le genre de chamaillerie que seuls les Français savent provoquer, et plus