La Religion
réflexe de Bors fut de faire un demi-tour rapide et discret ; puis, un certain sens du devoir, plus élevé, le fit se retourner à nouveau.
« Le bastion de Castille est par terre ! » cria-t-il. Sa tête remonta brusquement avec malice pour tenter d’apercevoir les fabuleux seins dans le fût. « Les Turcs sont dans la ville !
« Et que veux-tu que j’y fasse ? » rugit Tannhauser.
Bors leva vaguement une main, sa tête remontant avec un désespoir croissant : « Je supposais que tu voudrais le savoir.
– Merci mais, comme tu peux le voir, je suis in flagrante . »
Bors battit en retraite, contrecarré par le bord du tonneau. Tannhauser convint que sa propre frustration était plus que justifiée, mais cette damnée situation l’emportait sur lui. Il se retira, elle protesta avec véhémence, et il la prit dans ses bras et la souleva hors du bain. Elle se tint là, dégoulinante, et tout aussi indifférente à sa nudité qu’au désastre qui envahissait la ville. Tannhauser enjamba le bord. Il ramassa sa robe verte, la lui tendit et elle s’en couvrit avec peu d’enthousiasme. Tannhauser, avec encore moins de concessions au décorum, chargea un de ses bras de sa dague, ses pantalons et ses bottes, et de l’autre escorta Amparo à l’intérieur.
« Il serait assez bon de nous procurer quelques armes décentes », dit-il.
QUAND TANNHAUSER ATTEIGNIT le front, une demi-heure environ ou peut-être deux fois cet interlude plus tard, et ni en état ni d’humeur à autre chose qu’une envie désespérée d’une sieste dans les bras d’Amparo, le siège semblait avoir atteint son dénouement attendu. Sur leur trajet, les rues étaient compactes de fuyards et de blessés effondrés. Cette impression de panique de masse, que n’importe quel commandant craint plus que toute calamité, crépitait dans l’air comme le prélude à quelque cataclysme météorologique. La victime de la gigantesque mine que les mamelouks avaient creusée dans le roc et remplie de tonnes de poudre était bien l’imprenable bastion de Castille, situé à l’extrémité orientale de l’enceinte.
Le bastion n’était plus qu’un talus informe, effondré sur la douve extérieure, sur lequel flottaient un grand nombre de bannières de soie brillantes de la sourate de la Conquête, et où des tireurs d’élite janissaires étaient déployés, allongés ou à genoux sur les gravats. L’explosion de la mine avait emporté également une grande longueur des remparts de chaque côté du bastion. Pire encore, le second mur intérieur était également ouvert de nombreuses brèches, et des troupes de choc turques, après avoir nettoyé une résistance désespérée, se déversaient vers lui, contournant ou débordant les contreforts du bastion dévasté comme de la lave sur une émergence rocheuse. Nombre de bons chevaliers chrétiens avaient sans nul doute été enterrés dans cette éruption, et, sur les débris fumant encore, une mince ligne de frères assiégés contenait l’avant-garde turque, leurs armures dégoulinant de sang rouge dans la lumière du matin.
De ce côté du mur effondré s’étendait un tablier de terrain ouvert où les ingénieurs de La Valette avaient détruit des masures sur deux pâtés de maisons pour fournir un champ de tir libre. Deux canons de seize livres avaient été acheminés et, à peine les mules déchargées, leurs servants en sueur chargeaient déjà leurs fûts de mitraille. Depuis les barricades et les murets fermant les rues transversales, des arquebuceros échangeaient des tirs avec les mousquetaires au sommet du talus, sans guère d’effet. L’air pulsait de cris en arabe et d’invocations du Prophète et de sa barbe. Une brume de fumée de mousquets couvrait cette arène tout entière. Les cloches de San Lorenzo sonnaient comme si elles pouvaient provoquer quelque bonheur terrestre. Installé à un poste de commandement avancé, La Valette, sans armure et tête nue, observait l’épanouissement du corps à corps avec Oliver Starkey et un groupe de Provençaux à leur côté. Plusieurs groupes de piquiers trottaient, incertains, vers la mêlée couvrant l’espace libre.
« Mattias ! »
Il trouva Bors amorçant le fourneau de son mousquet damasquiné derrière le mur d’une maison à ciel ouvert. « Prêt pour la gloire, mon ami, maintenant que tes appétits sont assouvis ?
– J’ai raté le petit déjeuner, répliqua Tannhauser.
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