La Religion
ses anges et ses saints attendent notre arrivée. Mais si nous laissons nos malades et nos pauvres mourir sans nous, la Religion aura déjà perdu, et pour rien. Car sans nos malades et nos pauvres, nous ne sommes rien. La Religion n’est rien. Et si cela devait arriver, son honneur même intact aux yeux des hommes serait entaché aux yeux de Dieu jusqu’à la fin des temps. »
La Valette se rassit.
Nul doute possible, tous les hommes présents avaient été persuadés, mais une étrange pause s’ensuivit, dans laquelle il manquait un orateur au conseil.
Finalement l’amiral Del Monte se leva. Ludovico l’avait-il poussé à le faire ? Starkey n’avait pas remarqué. L’ascension du prestige de Ludovico au sein de l’ordre avait étonné Starkey, et surtout parce que l’homme demeurait impeccablement modeste dans ses manières. Sa valeur sur le champ de bataille aussi. Que personne ne soit contrarié par sa présence était encore plus surprenant.
« Comme toujours, dit Del Monte, Son Excellence nous montre où réside notre devoir. Si nous tombons dans l’erreur, nous implorons son pardon et nous prions pour qu’il se souvienne que nous ne sommes que ses enfants. Nous défendrons le Borgo, et le peuple de Malte, jusqu’à notre dernière goutte de sang. Quel que soit leur destin, nous le partagerons. Le choix entre défaite et damnation n’est absolument pas un choix. »
Avec soulagement, les autres affirmèrent leur soutien, un par un, Claramont en dernier, affichant une pénitence particulière, que La Valette écarta en levant la main. Le grand maître lança à Starkey un regard familier, qui lui indiquait de reprendre la chaire.
« D’autres affaires que le conseil voudrait examiner ? » demanda Starkey.
Ludovico se leva. Sa voix de baryton semblait trop douce pour atteindre l’autre bout de la table et pourtant elle emplit la pièce : « Avec la permission de Votre Excellence, deux questions, dit-il. La première est d’une nature délicate et je vous prie de n’y voir aucune offense.
– Parlez librement, fra Ludovico, dit La Valette. Nous tenons en grande estime la gouverne du Saint-Père, et vous êtes sa voix. »
Le sarcasme de ce panégyrique n’échappa pas à Starkey, ni, il en était certain, à Ludovico, mais l’inquisiteur se contenta de s’incliner avec grâce. « Lors de la bataille de samedi dernier, Votre Excellence a été vaillamment blessée, et le peu de soin qu’elle accorde à sa propre vie est connu de tous et une inspiration pour tous. »
Des murmures d’approbation pour la valeur du grand maître firent comme un clapotis autour de la table.
« C’est aussi une source d’inquiétude, poursuivit Ludovico, provoquant le même type de réaction. Durant ces terribles jours, la mort peut choisir chacun d’entre nous en un clin d’œil. Comme les événements de cette journée l’ont prouvé, la perte de Votre Excellence, si elle n’était pas immédiatement remplacée, s’avérerait catastrophique. »
Il marqua une pause, les yeux braqués sur ceux de La Valette.
Le grand maître, avec une assurance égale, lui fit signe de continuer.
« Si je puis oser cette bravoure, je suggère que le conseil sacré nomme et approuve le successeur de Votre Excellence pour que, si jamais un si terrible désastre devait s’abattre sur nous, notre armée ne soit pas privée d’un commandement si vital à son courage et à son moral. »
Autour de la table, la tension était évidente. Chacun des hommes avait considéré cette éventualité, mais personne d’autre n’avait osé l’évoquer.
« Je me rends bien compte que cela impliquerait d’abandonner le processus électoral normal, continua Ludovico. Mais, en des circonstances comme celles que nous vivons, trois jours d’incertitude seraient calamiteux. »
La Valette répliqua sans la moindre hésitation. « Vous avez toute la gratitude du conseil pour avoir soulevé cette question, fra Ludovico. Je me suis montré très insouciant en ne le faisant pas moi-même. Votre argumentation a mon plein soutien, et j’espère celui de nos frères. »
Il consulta la tablée, cherchant d’éventuels contradicteurs, mais n’en trouva aucun. Il regarda Ludovico. « J’imagine que vous avez un candidat à l’esprit ?
– L’amiral Pietro Del Monte, dit Ludovico, de la langue italienne. »
Personne ne broncha. Tous les yeux étaient fixés sur La Valette. Le grand
Weitere Kostenlose Bücher