La Religion

ils étaient sauvés.
    L’intérieur de l’église tremblotait du jaune et noir des centaines de chandelles et de lampes votives. Des mèches fumaient sous les stations du chemin de croix. Une statue de la Madone de la taille d’un enfant était festonnée de fleurs de soie. Une poignée de tiges d’avoine séchée et quelques grappes de raisin d’une vigne de L’Isola étaient déposées à ses pieds. Des chèvres bâillonnées de rubans tremblaient çà et là dans la foule. Des paniers de légumes fripés et d’œufs garnissaient le pied de l’autel. Après s’être difficilement frayé un passage dans la congrégation, Tannhauser trouva Gullu Cakie adossé à un mur, sous un bas-relief en plâtre du Christ flagellé. Quand il vit l’expression sur le visage de Tannhauser, le Maltais fit une génuflexion en direction de l’autel, et le suivit dehors sans qu’un mot ne soit échangé. Buraq attendait dans la pénombre.
    « Je ne m’attendais pas à te revoir, dit Gullu Cakie. Beaucoup pensaient que tu avais déserté.
    – Et toi ? » demanda Tannhauser.
    Gullu fit « non » de la tête. « Ton bateau était encore à Zonra. »
    La surprise de Tannhauser ne dura qu’un instant. Cakie en savait plus sur les intrigues et les allées et venues que n’importe qui à Malte. Pour le bateau, il avait probablement été au courant le jour même où Tannhauser l’avait volé.
    Gullu ajouta : « Et la harpie sicilienne de l’inquisiteur a décampé vers la cour de justice.
    – Starkey est-il au courant ?
    – Il croit que tu es parti, avec les femmes », répondit Gullu Cakie.
    Tannhauser se sentit vaguement blessé. « Starkey me prend pour un déserteur ? »
    Gullu haussa les épaules, trop noué pour faire remarquer que Tannhauser n’était précisément que cela.
    « J’ai besoin que tu lui délivres un message », dit Tannhauser.
    Gullu Cakie était l’un des rares, en dehors de l’ordre, à avoir un accès direct au haut commandement. Il plissa son front chauve. « À Starkey ?
    – Il faut que je lui parle, immédiatement, d’une affaire extrêmement urgente.
    – Il sera à San Lorenzo pour les laudes. Ils seront tous là. Pourquoi ne pas y aller toi-même ?
    – Je ne peux pas découvrir mon jeu. Lui et moi devons nous rencontrer en secret. Dis-le-lui. Tu connais les familiers de Ludovico ? »
    Gullu Cakie lui lança un regard comme s’il était offensé par la suggestion qu’il ne les connaissait peut-être pas.
    « Il a un homme dans l’entourage proche de La Valette, dit Tannhauser. Qui cela peut-il être ?
    – Le Siennois, Pandolfo, c’est un vrai serpent.
    – C’est Pandolfo. Ni lui ni La Valette ne doivent rien suspecter.
    – Seul un fou se frotte à l’Inquisition, dit Gullu Cakie.
    – Le fou, tu l’as devant toi, c’est bien vrai, mais tu auras la gratitude du grand maître.
    – J’ai déjà gagné sa gratitude en abondance, se renfrogna Gullu Cakie, et cela n’a jamais apporté le moindre quignon de pain sur ma table.
    – La vie de La Valette est en danger. »
    Gullu fit la moue, ni ému, ni impressionné. « Les grands maîtres, ils vont, ils viennent, et on ramasse leur merde à la pelle. Et maintenant que la guerre est finie ? » Il haussa à nouveau les épaules.
    « Tu auras ma gratitude aussi. Je serai en dette envers toi, aussi profondément que tu le voudras.
    – Mais nous devrons survivre tous les deux pour que je puisse en profiter. »
    Tannhauser ne put réprimer un sourire. « Tu es vraiment un homme comme je les aime. » Son sourire s’effaça. « La vie d’Amparo est en danger aussi. Ludovico la garde dans son antre. »
    L’expression de Gullu changea. « Amparo est l’une des nôtres.
    – Je dirais cela, oui. »
    Gullu regarda sa paume brillante et calleuse. « Amparo m’a dit que je survivrai pour voir naître mon arrière-petit-fils. » Il leva les yeux vers Tannhauser. Il n’y avait pas d’hésitation dans ces yeux noirs. « C’est une prophétie que je ne veux pas voir entachée par une malédiction. »
     
    LA LUMIÈRE DES TORCHES rendait la crypte de San Lorenzo inquiétante. Les caveaux creusés dans le sol s’étendaient vers le fond avec une ingéniosité géométrique avant de se perdre dans une obscurité hantée. Certaines des chambres funéraires étaient ouvertes, leurs couvercles de pierre posés sur le côté, et l’on pouvait entrevoir dedans des