La Religion
cadavres récemment enveloppés de leurs linceuls blancs. Des mouches bruissaient dans la pénombre. Un entêtant parfum d’encens ne parvenait pas à masquer la puanteur de la putréfaction, car l’embaumement était un luxe abandonné depuis longtemps. Le chœur de San Lorenzo était installé directement au-dessus et Tannhauser entendait des chants lointains. La célébration de l’aube était en cours. Et le temps s’enfuyait. Il entendit des pas et se retourna vers l’entrée de la crypte. Starkey s’avança dans la lumière. Il semblait sur ses gardes, mais pas inamical.
« Tannhauser, vous nous avez manqué.
– J’ai pris un peu de repos, dit Tannhauser, dans la Gouve.
– La Gouve ? » Starkey sembla choqué. Chose rare chez lui. « Sous quelle autorité ? »
Tannhauser écarta cette question d’un geste. « Il y a un complot en marche contre la vie du grand maître. Je suis son assassin appointé. »
Starkey n’était pas armé. Ses yeux réaffirmaient le fait que Tannhauser était couvert d’armes, mais même s’il était alarmé, son visage ne l’exprima pas. « Appointé par qui ? demanda-t-il.
– Fra Ludovico. »
Starkey n’eut pas l’air surpris, mais devint encore plus difficile à déchiffrer. « Frère Ludovico, dit-il d’un air songeur. Le couteau de Ghisleri. »
Tannhauser résuma son arrestation et son incarcération, replaçant le lieu de leur capture à l’auberge d’Angleterre. Il décrivit les grandes lignes de la proposition et du plan de Ludovico.
« Vous avez la preuve de ce complot ? demanda Starkey.
– Laissez-moi quelques instants tout seul avec le jeune Pandolfo et vous l’entendrez par vous-même.
– Pandolfo aussi ? » La bouche de Starkey se tordit. « Le plan de Ludovico pour promouvoir Del Monte était déjà assez effronté, mais je n’imaginais pas qu’il serait aussi téméraire que cela.
– Le temps presse, dit Tannhauser.
– Del Monte fait-il partie de la conspiration ?
– Non.
– Dieu merci.
– Amparo et Bors sont dans les geôles de l’inquisiteur, dit Tannhauser. Ils seront assassinés au lever du soleil, plus tôt même si Pandolfo a vent de cette conversation. »
Starkey porta ses doigts à ses lèvres. Il envisagea le déroulement futur légal.
« Des sergents d’armes envahissant la cour de justice. Des arrestations. Des procès. Des exécutions. La langue italienne disgraciée, avec beaucoup d’effusions de sang. Notre victoire souillée. Un conflit ouvert avec l’Inquisition romaine, peut-être le Vatican aussi… »
Il secoua la tête, dégoûté. Il regarda Tannhauser.
« Ce serait mieux si cette sale affaire était profondément enterrée.
– Donnez-moi mandat, dit Tannhauser, et je les enterrerai tous.
– Mandat ? dit Starkey. Si Ludovico survit, et si vous êtes pris vivant, cette conversation n’aura jamais eu lieu. Vous serez très certainement pendu. »
Tannhauser sentit un frémissement de surprise, puis d’étonnement à s’être attendu à de la loyauté. Il était, après tout, l’homme qui avait été envoyé pour assassiner le petit-fils du sultan. Par le sultan. Sultan. Vatican. Religion. Islam ou Rome. Tous ces cultes ne cherchaient que le pouvoir et la soumission des peuples. Les peuples eux-mêmes, les petites gens, comme lui, comme Gullu Cakie, Amparo, n’étaient guère plus que des grains pour leurs meules. La Valette, Ludovico, le pape, Mustapha, Soliman, quelles ordures ils étaient, tous autant les uns que les autres. Baignant dans la pompe et le luxe tout en orchestrant le carnage qui dorloterait leur incommensurable vanité. Au fond de son cœur, il les aurait tous tués sans frémir, et il aurait considéré cela comme un service rendu à l’humanité. Mais on ne manquerait jamais de nouveaux candidats pour enfiler leurs bottes, et déplorer ce fait était une divagation tout juste bonne pour les idiots.
Tannhauser hocha la tête. « Bien sûr.
– Ludovico est parti pour Mdina avec une troupe de cavaliers, dit Starkey. Ils ont l’intention de se joindre à l’attaque contre la retraite turque. S’il devait périr sur le champ de bataille, ce scandale mourrait avec lui. »
Tannhauser et son fusil avaient un nouvel employeur. « Et Bruno Marra ? Escobar de Corro ?
– Des branches pourries qu’il faudrait couper de l’arbre de l’ordre, dit Starkey. Ils ont accompagné leur nouveau maître
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