La Religion
ensuite dans l’obscurité.
L’obscurité n’attendait pas La Valette et la Sainte Religion. Le grand maître fut acclamé comme l’homme le plus brave de toute la chrétienté, son soldat et homme d’État le plus brillant, le rempart de l’Église militante. La Valette lui-même était indifférent aux honneurs qu’on lui faisait. Il ne se rendit pas à Rome, malgré la promesse d’un triomphe. En vérité, il ne quitta plus jamais l’île, malgré des invitations venues de tous les coins d’Europe, et il n’appréciait cette glorification que parce qu’elle apportait un afflux d’or colossal et de nouvelles recrues impatientes de renouveler les troupes de l’ordre. Avec sa vigueur légendaire, il se remit immédiatement à la conception et à la construction d’une place forte massive sur les pentes du mont Sciberras, une citadelle qui serait la plus imprenable jamais bâtie, et qui devait être baptisée Valetta en son honneur. Son distingué secrétaire, Oliver Starkey, travailla avec lui nuit et jour, car ce labeur et ses complexités étaient incommensurables. Absorbés par cette tâche pour leur Sainte Religion, les deux hommes y trouvèrent contentement pour le reste de leurs jours.
Le pacha Mustapha et ses commandants avaient laissé quarante mille gazi dans la poussière de Malte et, avec ces morts jamais ensevelis, leur réputation également. Après soixante lugubres jours en mer, ils regagnèrent la Corne d’Or pour faire face à la colère du sultan. À leur plus grande surprise, on leur épargna la corde d’arc de l’eunuque, et Soliman courba l’échine devant la volonté d’Allah. Il ordonna des préparatifs pour un second assaut contre l’île l’année suivante, qu’il mènerait lui-même jusqu’à une fameuse victoire. Mais il ne devait pas en être ainsi. Vers la fin de l’été 1566, à l’âge de soixante-douze ans, le puissant shah mourut en Hongrie en menant le siège de Szeged. Il mourut comme il avait vécu, en faisant la guerre, et cette catastrophe était si renversante que ses médecins furent étranglés dans sa tente et sa mort gardée secrète envers ses agas pendant quarante-trois jours, jusqu’à ce que son corps embaumé soit enterré dans la tombe que Sinan avait bâtie pour lui, près de la mosquée Solimanye, dans le vieil Istanbul.
Succéda à Soliman le Magnifique son dernier fils survivant, Selim, connu pour d’excellentes raisons comme « Le Sot ». C’est ainsi que le soleil ottoman entama sa lente descente, car, lors du passage de l’ombre de Dieu sur terre, passaient aussi son zénith et son méridien.
À Rome, un complot fut ourdi contre la vie du pape Pie IV, Giovanni Médicis. Et échoua. Son meurtrier présumé était un de ces assassins solitaires et déments connus des historiens de toute époque, et le mécréant mourut en détention avant de pouvoir trahir ses coconspirateurs fantômes. La volonté de Dieu, néanmoins, ne fut pas si aisément contrecarrée. Médicis succomba à une main plus cruelle, celle de la fièvre romaine, en décembre 1565. Michele Ghisleri enfila les chaussures du Pêcheur, comme prévu depuis longtemps, et déclencha quelques rires sans pitié parmi ses familiers en prenant le nom pontifical de Pie V. Sous son règne, l’Inquisition fleurit à nouveau. Ghisleri fomenta de nouvelles guerres contre les mahométans, et contre les protestants à travers toute l’Europe. L’obscurantisme intellectuel enténébra le monde catholique et un long et inutile déclin fut aveuglément embrassé. Pour ces crimes insignes, le pape inquisiteur devait être un jour canonisé comme saint.
Aux héroïques natifs de Malte incomba la tâche de reconstruire l’île au sortir de l’enfer. Sur une population de quelque vingt mille, sept mille hommes adultes avaient péri lors du siège. Leurs champs étaient brûlés et dévastés, leurs maisons réduites en tas de cailloux, et beaucoup de ceux que la mort avait épargnés devaient rester estropiés à vie. Ils souffraient dans les ombres projetées par le rayonnement de la Religion, et leurs sentiments sur ce qui s’était passé ne furent jamais rapportés, car si les chevaliers étaient i nostri , les Maltais demeuraient la basse plèbe 1 , et tout ce dont on avait besoin de savoir des basses classes, c’était qu’elles avaient fait, de leur mieux, ce qu’on attendait d’elles.
En août 1566, la petite-fille de Gullu Cakie donna naissance
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