La Religion
Nicodemus. » Il hésita. « Et Amparo. »
La douleur poignarda son âme et ses yeux s’emplirent de larmes. Mattias posa un doigt sur ses lèvres.
« S’il vous plaît, dit-il. Nous aurons tout le temps de porter le deuil. Et en cela nous ne serons pas seuls. En ce qui me concerne, un moment de joie serait plus que bienvenu. Et bien que beaucoup ait été pris, beaucoup demeure, et nous avons des raisons de sourire. »
D’instinct, elle regarda au-delà de son épaule. Derrière le seuil de la maison, elle percevait une présence. Mattias se tourna dans cette direction, et les larmes de Carla commencèrent à couler, et, en elles, joie, espoir et chagrin s’entremêlaient. Elle s’essuya le visage.
« Orlandu », appela Mattias.
Orlandu émergea de la maison. Il marcha vers elle, un peu raide, les épaules redressées, la tête droite comme s’il avait reçu pour instruction d’allonger le pas. Sa peau rayonnait, ses yeux étaient profonds et honnêtes, et Carla comprit qu’elle n’avait jamais, de sa vie, vu un être plus beau. Il s’arrêta devant elle puis s’inclina, le visage sérieux comme un juge. Les larmes montèrent à nouveau aux yeux de Carla, imprégnées de sentiments trop complexes, trop nombreux pour être dénommés, et cette fois elle ne parvint pas à les contenir.
« Souris, garçon, dit Mattias, et surveille tes manières. »
Il souriait aussi.
« Car voici ta mère. »
Carla jeta ses bras autour d’Orlandu pour le serrer contre elle, fort, très fort.
DIMANCHE 9 SEPTEMBRE 1565
Hal Saflieni
LES TOMBEAUX D’HAL SAFLIENI avaient été creusés dans la roche vive avant que le fer ne soit connu, avant même le bronze. Peut-être même, mais nul ne pouvait le savoir, avant que Prométhée ne vole le feu aux dieux. Creusés, donc, avec de l’os et du silex quand le monde des hommes était jeune, quand le Créateur de l’univers était la Femme, quand ces anciens maçons n’adoraient qu’une seule déesse : une déesse dont le ventre s’arrondissait d’une fécondité perpétuelle. Creusés à un âge où la guerre n’était qu’un rêve attendant que les dormeurs se réveillent. Ici, à Hal Saflieni, dans les cryptes et les chambres attenantes, dans les rangées de niches et les voûtes sous les plafonds décorés de rayons et de spirales d’ocre rouge, reposaient des squelettes par milliers.
Pour Carla, Hal Saflieni avait été un refuge dont le réconfort était mystérieux mais profond. Même si ces lieux lui avaient été formellement interdits, son cœur de jeune fille l’avait attirée jusqu’ici. Quand son âme était troublée, elle était venue s’agenouiller devant la Grande Mère de pierre, pour ressentir la sagesse du temps. Les prêtres disaient que c’était un lieu païen, et qu’en tant que tel on devait le fuir. Mais la jeune Carla n’avait ressenti aucun sens du péché. Ici, elle avait prié la Vierge, dans la cité des morts, et la Vierge et la Grande Mère de pierre ensemble lui avaient apporté la paix. Elle n’était pas revenue sur ce site depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, en quête de réconfort, en quête de paix, elle avait décidé d’emmener son amie là-bas pour la confier à l’éternité.
DANS LE BORGO, dans l’obscurité précédant l’aube, matines et vêpres étaient dites pour les morts à l’église de l’Annonciation. Bien que les combats soient terminés, beaucoup étaient morts la veille, et beaucoup parmi les grièvement blessés allaient encore mourir. On chantait des psaumes, et des nocturnes du Livre de Job étaient récités. « Ô Seigneur, accorde-leur le repos éternel, et que ta lumière éternelle les éclaire. » Parmi ceux dont on portait le deuil se trouvaient Amparo, Nicodemus et Bors. « Délivre-nous, Seigneur, de la mort éternelle en ce jour affreux, quand les cieux et la terre trembleront et que tu viendras pour juger le monde par le feu. » Des laudes suivirent, et le Miserere fut chanté, et le cantique d’Ezéchiel, et l’antienne de Jean. « Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il est mort, revivra : et tous ceux qui vivaient et croyaient en moi ne mourront jamais. » Puis les péchés de ces âmes mortes à ce monde, mais pas au suivant, furent absous et les endeuillés émergèrent dans les lueurs de l’aube.
À la demande de Carla, Tannhauser et Orlandu chargèrent les corps de Bors et d’Amparo dans un
Weitere Kostenlose Bücher