La Religion
nul doute qu’elle ait les moyens de le payer. Ludovico avait également perçu le potentiel sexuel de cet homme, ainsi que le font souvent les hommes de même trempe, comme des bêtes. Il sentit un soupçon de jalousie et se morigéna, car il n’y avait aucune équivoque possible. Cet homme était un blasphémateur et un hérétique. Et, comme Michele Ghisleri l’avait conseillé, à l’égard des nobles prééminents : « Ôte l’homme et tu ôteras le problème. »
Ludovico trouva son chemin jusqu’au parloir de l’abbé, où Gonzaga attendait des instructions.
Gonzaga était un commissarius , un prêtre local qui agissait pour l’Inquisition et fournissait des renseignements. Il avait des tendances vicieuses, dont Ludovico se méfiait, mais était très aimé, peut-être pour cette même raison, par les gens importants de Messine. Ces derniers, qui étaient fort nombreux, avaient été poussés à fonder une fraternité par les flatteries de Gonzaga : la congrégation de Saint-Pierre martyr. Ces frères étaient désormais les serviteurs du Saint-Office, prêts à accomplir à toute heure les devoirs de justice, et autorisés à porter les armes pour protéger les inquisiteurs. C’était un honneur particulièrement recherché, sans doute beaucoup parce qu’il conférait l’immunité face à la justice séculière. Qu’ils soient de haute ou de basse naissance, la limpieza de sangre – la pureté du sang – était requise, car aucun converti de lignée juive ne pouvait servir le Saint-Office.
Dans le parloir, Anacleto se tenait à l’entrée, il avait autant l’air d’une apparition que d’un être humain, comme toujours. Ludovico l’avait trouvé à Salamanque, en 1558, où on lui avait demandé de l’examiner pour découvrir des signes de possession diabolique. Ce jeune noble, qui avait alors dix-huit ans, était reconnu coupable d’inceste avec sa sœur, Filomena, et du meurtre de leurs deux parents qui avaient surpris leur progéniture in flagrante delicto . Anacleto ne niait pas ces horribles crimes, et ne s’en repentait pas plus. Filomena avait été pendue, et son corps jeté aux pourceaux, sous les yeux d’Anacleto. Son exécution, aussi, n’était plus qu’une formalité. Mais quelque chose dans l’âme noire du jeune homme avait ému Ludovico. De surcroît, il avait vu en lui un outil de grande valeur : un homme sans conscience, capable des actes les plus atroces. Un homme qui offrirait une immortelle loyauté à celui qui le rachèterait. Ludovico passa quatre jours avec le jeune homme et forgea un lien indestructible. Il arracha la pénitence d’Anacleto et lui donna l’absolution. Plus encore, il lui donna un but plus grand et une raison de vivre. Ainsi immunisé par l’Inquisition, Anacleto avait accompagné Ludovico et Fernando Valdes dans leur impitoyable nettoyage de la Castille, qui s’acheva en apothéose dans un terrible autodafé à Valladolid, auquel l’empereur Philippe assista en personne. Anacleto avait été, depuis, l’ombre de son maître, toujours prêt à le protéger et à garder les mains de Ludovico sans la moindre tache de sang.
Gonzaga se leva et s’inclina. Ludovico lui fit signe de se rasseoir.
« Ceci étant territoire espagnol, dit Ludovico, et sous la juridiction du bras de la congrégation espagnole, je n’ai aucun pouvoir formel ici. » Il leva une main pour prévenir l’offre de Gonzaga de toute l’autorité nécessaire. « Et je ne recherche aucunement de tels pouvoirs. Pourtant, il en va des plus urgents intérêts de Sa Sainteté que, d’ici huit heures ce soir, deux tâches soient accomplies sans faillir.
– Nos frères comprennent les meilleurs gendarmes de la ville, lâcha Gonzaga. Mon cousin, le capitaine Spano, nous fournira toute l’assistance requise.
– Par quels moyens ces tâches seront accomplies, et par qui, je ne veux pas le savoir. Aucune de ces actions ne devra être vue comme l’œuvre du Saint-Office, mais plutôt comme celle des autorités civiles. Ces deux tâches requièrent subtilité et rapidité, dans des mesures différentes.
– Oui, Votre Excellence. Subtilité et rapidité.
– En résidence dans la maison d’hôte de la villa Saliba, se trouve une noble dame nommée Carla de La Penautier. Elle doit être emmenée rejoindre les minimes du couvent du Saint-Sépulcre à Santa Croce, pour une période de prière et de contemplation qui ne devra pas durer moins d’un
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