La Religion
L’église abbatiale de San Lorenzo se dressait, baignée d’une lumière violette spectrale. De ses portes ouvertes émanait une pulsation jaune qui trouait la façade monumentale, et l’âme d’Orlandu fut entraînée vers ce portail sacré. Il laissa son couteau près d’un arc-boutant et entra dans l’église à pas feutrés. Les dalles étaient froides à ses pieds. Le plain-chant le faisait frissonner. Il trempa ses doigts dans l’eau bénite, fit une génuflexion, et un signe de croix, puis il avança vers la brillance jaune. San Lorenzo était l’église des chevaliers de Saint-Jean le Baptiste. Orlandu n’avait jamais passé ses portes auparavant. Son cœur battait et il osait à peine respirer en s’avançant dans le vestibule. Au-delà des deux larges piliers qui flanquaient la nef, l’intérieur s’ouvrait devant lui et ses sens en restaient stupéfaits.
L’ensemble des prêtres de la Religion se tenait assemblé comme un seul homme et les pierres tremblaient alors qu’un demi-millier de soldats de la croix élevaient leurs voix vers Dieu. Les moines guerriers étaient debout, rang après rang, dans leur simple habit noir, plus humbles que l’agneau et plus fiers que des tigres, liés par l’amour de Jésus-Christ et saint Jean-Baptiste, fiers de leur présence et sans peur, et chantant, chantant avec une exaltation grondante. Les fumées d’encens se dispersaient dans les allées et lui firent tourner la tête. Le vaste espace brillait et tremblait d’innombrables cierges allumés. Pourtant, il semblait que tous les rayons de lumière émanaient de la représentation du Christ torturé, placé haut au-dessus de l’autel. C’était vers cela que le regard d’Orlandu était attiré, ainsi que ceux de toute cette formidable congrégation : vers le visage noble et décharné de celui qui avait souffert et était mort pour tous les hommes, vers la couronne d’épines sanglantes et les mains clouées de douleur, vers le corps émacié et percé qui se tordait sur la Croix, comme si ses affres ultimes n’étaient pas encore terminées.
Orlandu était empli de chagrin. Il savait que Jésus l’aimait. Un sanglot s’échappa de sa poitrine, il joignit ses mains bleuies et ensanglantées et tomba à genoux.
« Je confesse à Dieu tout-puissant, à sainte Marie toujours vierge, à saint Michel archange, à saint Jean-Baptiste, aux saints apôtres Pierre et Paul, et à tous les saints, que j’ai péché en pensée, en parole, et en actes, c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute. »
Il n’était pas seul à invoquer le pardon, ni à pleurer. Des larmes brillaient sans honte sur les visages de nombreux moines. Le chagrin et la joie emplissaient l’église jusqu’en haut de ses arches voûtées. Depuis la tragédie de Rhodes, jamais autant de frères de la Religion ne s’étaient rassemblés en un même lieu. Si aucun d’entre eux ne pensait qu’un tel nombre puisse à nouveau se rassembler un jour, c’était parce que chacun d’eux était venu à Malte afin de mourir pour sa foi. Dieu avait appelé leur congrégation à la guerre. Le feu et l’épée étaient les saints instruments de leur credo. Emporté par le vortex de vénération autour de lui, Orlandu embrassait cette destinée aussi volontiers que tout autre. Lui aussi aspirait à mourir pour le Christ rédempteur. Pourtant son instinct ne l’abandonnait pas. Il se retourna juste à temps pour voir le chapelain, père Guillaume, arriver au coin de la nef, le visage changé en un masque de fureur face à cet intrus en haillons. Orlandu se remit sur pied et fila à travers le vestibule, jusqu’au lilas de l’aube, dehors. Il ramassa son couteau caché près de l’arc-boutant et détala, tournant au coin de l’église.
Et là, comme s’il avait entamé un jeu dont il ne pouvait ni comprendre les règles, ni anticiper la finale, le lévrier blanc immaculé l’attendait.
Dans la lumière grandissante, Orlandu vit que les minces flancs du chien – ses côtes étaient nettement visibles, même s’il n’avait pas l’air mal nourri – étaient défigurés de récents coups de couteau. D’autres avaient essayé de le tuer, donc, et ils avaient échoué. Avec ses yeux encore humides et sa poitrine encore prête à éclater de sa communion avec les chevaliers, l’estomac d’Orlandu renâclait face à la perspective d’une boucherie. Mais La Valette avait bien tué ses
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