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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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boucher dans les pierres près de sa tête et se leva très lentement. Les yeux du lévrier étaient tristes et brillants. Son âme se dévoilait. Sa noblesse transperça le cœur d’Orlandu.
    Du peu qu’Orlandu en savait, ce lévrier blanc était le dernier chien en vie sur l’île. Qu’il en soit ainsi ou pas, on n’entendait plus un aboiement ni un hurlement dans toute la ville. Qu’il en soit ainsi ou pas, Orlandu avait l’intention de tuer ce magnifique lévrier blanc avant la fin de la matinée.
    Au troisième coup de canon, le lévrier sauta de son perchoir et, furtif comme un fantôme, s’évanouit dans les rues. Orlandu fila à sa poursuite dans le Borgo, et il était si absorbé par sa chasse que le soleil avait déjà éclairci l’horizon quand il se souvint soudain. Il s’arrêta. Trois coups de canon du château Saint-Ange étaient le signal que tous attendaient avec un effroi sans mesure. L’armada turque venait d’être repérée au large. Les hordes de l’islam avaient atteint les rivages de Malte.
    Le massacre des chiens avait pris trois jours. Aujourd’hui c’était le quatrième. Leur extermination avait été décidée par le grand maître La Valette. Lors du siège de Rhodes, disait-on, La Valette avait vu le peuple manger des chiens et des rats. Pire, les chiens avaient mangé les cadavres des massacrés. Il avait donc décrété qu’à Malte la mort viendrait pour tous avant qu’une telle dégradation ne soit tolérée. Orlandu avait aussi entendu que, entre tous les animaux de la Création, La Valette réservait son amour le plus tendre à ses chiens de chasse. Avant de rendre son décret public, La Valette avait pris son épée et tué de sa propre main ses six chiens bien-aimés. Après cela, disait-on, La Valette avait pleuré de compassion.
    Si le décret était assez simple, son exécution s’était avérée plus malaisée que quiconque aurait pu s’y attendre. Beaucoup, qui avaient leurs chiens à portée de main, suivant l’exemple de La Valette, les tuèrent eux-mêmes. Mais cette politique ne pouvait être cachée aux animaux ainsi condamnés. Au crépuscule du premier jour, alertés par les hurlements de leurs semblables et avec leurs maîtres qui se tournaient contre eux de tous les côtés, chiens domestiques et errants confondus s’étaient tous regroupés en bandes aux yeux sauvages, qui arpentaient les rues et les ruelles de la cité. Comme la ville était fermée de remparts et entourée par la mer, aucune échappée n’était possible et tout sanctuaire était exclu.
    Puisqu’à cet égard les chiens ressemblent étrangement aux hommes, les bandes étaient menées par les plus sauvages et les plus astucieux d’entre eux. En si grand nombre, et animées par la terreur et l’odeur de leurs pairs dont les carcasses étaient quotidiennement brûlées, ces bandes s’avérèrent extrêmement dangereuses et d’un courage inouï. Comme la chasse et le meurtre de chiens faisaient partie des basses œuvres, indignes des combattants et des chevaliers, que tous ceux qui pouvaient marcher étaient employés à la préparation de la guerre, et que cette tâche n’était pas faite pour les femmes, un sergent d’armes eut la brillante idée d’utiliser les garçons recrutés comme porteurs d’eau pour servir les fortifications pendant le siège. Orlandu, qui avait été assigné au bastion de Castille, avait été parmi les premiers à se porter volontaire.
    Pour la Religion, il aurait été volontaire pour n’importe quoi. Comme tous les gamins, il considérait les chevaliers comme des dieux sur terre. On lui avait donné un couteau à désosser – aiguisé par l’usage en forme de croissant et tranchant comme un rasoir – et on lui avait dit que, comme ils allaient bientôt tuer des musulmans, ils pouvaient aussi bien commencer par des chiens, qui devant Dieu n’étaient que des bêtes d’une espèce similaire, leur principale différence étant qu’ils sentaient moins mauvais et n’iraient pas en enfer. Cette remarque fit qu’Orlandu se demanda si les chiens avaient une âme ou non. Le père Guillaume, le chapelain qui bénissait les bouchers juvéniles avant qu’ils ne s’élancent pour leur croisade, lui avait assuré qu’ils n’en avaient pas, pas plus qu’un mouton ou un lièvre, mais la manière dont chaque chien se débattait face à la mort était si particulière, et son amour de la vie si poignant, qu’au premier

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