La Revanche de Blanche
colliers et pendentifs en perles, Marie de Sévigné se lamente. Sa fille chérie vient de partir pour Grignan. Ninon et Marie-Madeleine de La Fayette tentent de l’apaiser. Les yeux noisette de la marquise se voilent comme si on lui « arrachait le cœur et l’âme ». D’une main tremblante, elle caresse la chevelure de Blanche. La Rochefoucauld ôte sa cape, se penche vers elle :
— Douce Marie, je n’aime pas voir votre beau visage s’assombrir. L’absence diminue les passions médiocres et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.
— Une jolie maxime, mon ami ! s’enflamme Mme de La Fayette. Elle illustre l’histoire dont je voudrais m’inspirer pour mon prochain roman. Vous souvenez-vous, Ninon, des amours du duc de Montmorency et de la marquise de Sablé ?
— Cette pauvre cruche a préféré l’honneur à la bagatelle, s’amuse Ninon.
— Elle se faisait une haute idée de l’amour, poursuit de sa voix grave Mme de La Fayette. À l’âge de trente ans, la marquise perdit son mari. Elle ne le pleura point. Lorsqu’elle apprit qu’il la trompait, elle mena grand train dans son hôtel place Royale. Le jour où le duc de Montmorency entra par la fenêtre de son salon et s’approcha d’elle en dansant, elle fut prise. Elle résista. Il courtisa Anne d’Autriche. Elle ne lui pardonna jamais.
— Comment appellerez-vous votre roman ? demande Blanche.
— La Princesse de Clèves.
— Il faudra y mettre de la passion, des vices et des vertus, conseille La Rochefoucauld. Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons dans la composition des remèdes. Je crois que vous êtes une amie de mon fils, mademoiselle, ajoute-t-il plus bas en s’adressant à Blanche. Il a bien de la chance. Il m’a chargé de vous dire qu’il vous embrassait.
Blanche serre son médaillon entre ses doigts. Depuis sa visite, à l’automne dernier, elle n’a pas eu de nouvelles de Charles.
Au réveil, un rayon de soleil lui chatouille le nez. Blase tire les rideaux du lit, dépose sur ses genoux un bol d’eau de chicorée et lui annonce qu’une jeune femme en coiffe s’est présentée. Blanche jette un châle sur ses épaules, passe un linge mouillé sur son visage. Une brunette trapue, petite coiffe tenue sous le menton par des rubans de dentelle, s’avance timidement. Un peu comme Émilie le jour de son entrée chez les La Tour.
— Vous voilà enfin, mademoiselle. Avez-vous été au couvent, avez-vous fait vos humanités ?
— Petra zo 1 ? rougit Dahuh.
— Parlez-vous français ? Il vous faudra vous défaire de votre petit accent qui sent la marée, acquérir des manières, un maintien. Blase vous éclairera sur vos gages.
D’un geste lent, Blanche tend le bras vers un livre posé près de son lit. Blase conduit la nourrice dans les combles de l’hôtel, puis va chercher Marquise chez Margot.
Peu après, sur un tapis de la bibliothèque, Marquise berce Pandore, sous l’œil vigilant de Dahuh. Les boucles blondes de la petite fille volettent autour de ses bonnes grosses joues. Blase surgit, essoufflé :
— Mademoiselle, le comte de Saint-Pol est là qui demande à vous voir.
Blanche court vers son appartement. Dans l’antichambre, Charles l’étouffe contre sa poitrine :
— Mon amour ! Tu m’as manqué ! Je reviens de Pologne. François de Caillères travaille à m’élever sur le trône de ce pays que j’ai appris à aimer. J’ai de bonnes chances de l’emporter sur Michel Wiecnowiecki. Je suis tombé sous le charme de ce pays, ses forêts de bouleaux où l’on chasse le loup, ses vastes domaines où des milliers de paysans servent leurs seigneurs.
— Si tu deviens roi de Pologne, tu m’oublieras, s’assombrit Blanche.
— Mon cœur sera toujours avec toi. Je ne partirai pas avant un an.
Une tête blonde apparaît dans l’embrasure de la porte. Marquise s’est échappée. Elle rampe à quatre pattes vers sa mère, tire un pan de sa jupe. Charles recule, se fige :
— Tu m’avais caché que tu avais une fille. Tu m’as trompé, tu m’as menti ! C’est le père de cette bâtarde qui te permet de loger ici, de mener grand train, n’est-ce pas ? Il ne faut pas être devin pour…
L’arrivée de Dahuh l’interrompt. La Bretonne s’empare de Marquise, marmonne des excuses, se retire sous les hurlements de l’enfant. Charles attrape un vase de porcelaine, le jette à terre, claque la
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