La Revanche de Blanche
dirige vers la sortie. Son regard se pose sur la base de quelques fioles couvertes par un linge, alignées dans une bibliothèque. La Voisin ajoute à mi-voix :
— Ne me nommez surtout pas. Le couple auquel ces deux femmes s’intéressent risque de perdre gros, la vie peut-être.
Il est tard. Les deux laquais sont un peu éméchés. Blanche grimpe dans la chaise. Elle ferme les yeux ; la prédiction de la Voisin l’obsède.
Athénaïs fait une patience dans son lit. Près de son amie aux cheveux d’or, yeux océan, formes douces, elle retrouve son calme, relate sa visite :
— La comtesse de Soissons a désiré du poison ; la Voisin a refusé de lui en donner. Elle a parlé d’un couple.
— Je m’en doutais. La Mancini a voulu la mort du roi et de Louise. Je viens d’apprendre que Louis l’a exilée et a fait arrêter Vardes. Il l’a échappé belle. Restons vigilantes : tu sais maintenant ce dont Aglaé est capable.
— La crois-tu aussi dangereuse que la Mancini ?
— Parbleu ! C’est une Bouillon : elle a de qui tenir. Ma chérie, je te remercie. Je m’en retourne plus tranquille chez moi. Pendant le carême, la reine n’a plus besoin de nous. Tu m’es précieuse, s’épanche Athénaïs en lui caressant le poignet. Dis-moi, quelle impression t’a fait la Voisin ?
— Inquiétante, mais je ne l’ai vue qu’une fois.
— Tu auras l’occasion de vérifier que la première impression est la bonne, surtout si elle est mauvaise.
9
Après le mercredi des Cendres, Blanche s’en retourne à l’hôtel de Sagone. Elle confie son lapin à Blase en lui interdisant de le mettre au court-bouillon : « Caressez-le souvent », lui dit-elle. Couchée sur son grand lit de damas rouge à côté de Françoise Scarron, Ninon ouvre les bras à sa filleule. Sans faire allusion à sa visite à la Voisin, Blanche raconte aux deux amies ses débuts de suivante avec un entrain juvénile. Fine mouche, Ninon devine une gêne dissimulée sous l’assurance nouvelle de sa petite chérie.
Françoise l’interroge sur les dernières intrigues, les fastes, les bals dont elle perçoit l’écho lointain à l’hôtel d’Albret où César d’Albret aime à s’entourer de tendrons. En Pygmalion, le duc se plaît à lui apprendre les rouages qui animent les grands de ce monde. Il en profite pour lui pincer les hanches, s’amuse de sa mine effarouchée. La Scarron ne prend la parole que si on l’y invite. Quand on lui fait sentir la distance qui la sépare des gens bien nés, elle n’hésite pas à se mordre l’intérieur des joues.
— Athénaïs est piquante, royale, se pâme Françoise. Elle possède à merveille l’art de la conversation. Je n’ai jamais vu quelqu’un raconter des anecdotes avec autant de drôlerie et cette pointe de raillerie à laquelle pourtant mon mari m’avait accoutumée. Un soir, alors que je buvais ses paroles, elle m’a lancé : « Ôtez donc vos yeux noirs de dessus moi, madame Scarron, je vous prie. » J’étais comme prise en défaut.
— César lui fait une cour effrénée, s’amuse Ninon. Ne trouvez-vous pas que, pour une jeune mariée, madame de Montespan regarde un peu trop les gentilshommes ?
— Le mot « regarder » est une calomnie ; elle ne regarde pas, elle caresse des yeux et noie du regard, s’exalte Françoise.
— Ne dites pas de mal d’Athénaïs, proteste Blanche. Elle n’est pas celle que vous croyez. Elle est mon amie.
— Sois prudente, petite : on la dit possessive, inconstante, éprise d’elle-même. Pauvre Montespan ! Le mariage : quelle hypocrisie ! rit Ninon. Ma chère Françoise, n’est-ce pas un bonheur d’être veuve ?
— Ma condition m’oblige à sacrifier mon plaisir à ma réputation. Vous connaissez le monde, s’attriste Françoise.
— Vous qui avez été si longtemps dépendante de vos éducateurs, de vos tutrices, vous devriez jouir de votre liberté, la secoue Ninon. J’espère que vous viendrez à mes futurs cinq-à-neuf.
— Tu vas tenir salon, comme maman ? se réjouit Blanche.
— J’inviterai La Rochefoucauld, Villarceaux, Lully, Boileau, La Fontaine, Jean-Baptiste…
— Molière ! Je brûle de rejouer pour lui.
— Il se rétablit lentement. Pour ne pas froisser le roi, il a refusé la proposition de Catherine de Suède de représenter son Tartuffe chez elle. Il a rouvert son théâtre afin que la troupe des petits comédiens du Dauphin puisse se produire. On dit
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