La Revanche de Blanche
que je vous ai connue toute petite. Mais dites-moi, comment avez-vous eu l’idée de venir me voir ?
— Ma mère vous aimait beaucoup. Jusqu’à aujourd’hui, je n’osais franchir le seuil de votre maison, je n’étais pas prête. J’ai décidé de vous rencontrer dans l’espoir que vous me parliez un peu d’elle. Il y a tellement de mystère dans sa vie… J’ai si peu de nouvelles de mon père, tant de questions à vous poser. Je ne sais par où commencer. Si je peux me permettre, savez-vous pourquoi Georges de La Motte a voulu que je disparaisse ? Pourquoi ma mère n’a-t-elle pas préféré vivre avec mon père ? Pourquoi n’est-elle pas venue me chercher plus tôt en Bourgogne ?
La marquise lève les yeux au ciel :
— Que de pourquoi, chère enfant. Sachez que votre mère a agi selon son devoir. Elle a cru que La Motte fléchirait : il s’est montré inflexible. Ses idées jansénistes y sont pour beaucoup. Elle a été trop confiante. Elle a caché son amour, pour vous protéger. J’aurais dû suivre ses conseils… J’étais jeune, mon mari m’encourageait à m’amuser. C’est lui qui m’a poussée dans les bras de Jean-Baptiste Godin de Sainte-Croix. Nous n’aurions pas dû nous afficher. Mon père m’a sommée de mettre un terme à cette aventure. Il a obtenu une lettre de cachet du roi : Sainte-Croix fut emprisonné en 1663. Lorsqu’il est sorti de la Bastille, il n’a eu de cesse de se venger.
— On dit qu’il est versé dans l’alchimie.
— Vous en savez des choses… En prison, il a rencontré un Italien, Eggidio, surnommé Exili, qui cherchait la pierre philosophale. Il enseigna la chimie à Jean-Baptiste, lui confia quelques secrets de préparation. Sûr de sa science, il a créé sa propre officine, impasse des Marchands-de-Chevaux, près de la place Maubert et y prépare des eaux médicinales à base de poudres de crapauds et de vipères. Il travaille surtout à la transmutation du mercure en argent.
— C’est incroyable ! s’enthousiasme Blanche.
— Permettez, mademoiselle, j’attends une visite, prévient la marquise en se repoudrant.
— Puis-je revenir vous voir, madame ?
— Ce ne sera pas possible… Mon père est souffrant ; je vais devoir me rendre auprès de lui en son château d’Offémont, en Picardie.
Un grand blond, yeux bleus fluorescents, habillé d’un pourpoint rouge et or, de haut-de-chausses bleus, se dirige à grands pas vers Marie-Madeleine.
— Qui est cette jeune personne ? se méfie-t-il.
— Une jeune amie de toute confiance, la fille de ma chère Émilie…
— Il faut que je te parle, de toute urgence, l’interrompt l’homme. Ton père…
— Je me retire, s’excuse Blanche qui devine qu’il s’agit de Godin de Sainte-Croix.
Envoûtée par la marquise et son mystérieux amant, Blanche note l’adresse de l’officine : elle pourrait peut-être intéresser Athénaïs. Rue des Tournelles, elle cache le bout de papier dans un tiroir et retrouve sa marraine fardée pour un rendez-vous galant.
— Ma chérie, tu as reçu un billet de la reine. Elle t’invite à Versailles, se réjouit Ninon. C’est un honneur : tu as su lui plaire. Il faudra te montrer discrète, prudente : le roi aime être entouré de jolies femmes. Il tient de son grand-père : le sang du Vert Galant irrigue ses veines. Sache que la reine est une Espagnole, une jalouse au sang chaud.
— Ne te fais aucun souci. Je ne resterai pas longtemps à Versailles. Le 14 juillet, on commence à répéter Le Médecin malgré lui. Je suis si contente, si contente, chantonne Blanche en tournoyant.
— Garde ton calme, ma chérie, ajoute Ninon qui descend l’escalier en se déhanchant, laissant dans son sillage des effluves de muguet.
Le carrosse de Blanche roule dans une allée du parc de Versailles métamorphosé en gigantesque trompe-l’œil. Afin de masquer les chantiers pour la construction du Grand Canal, Le Nôtre a fait tendre des toiles, planter des milliers de plantes vertes, d’orangers en pot, traçant un parcours pour le cortège royal à l’abri du bric-à-brac. Le parterre occidental s’ouvre sur des perspectives parsemées de jeux d’eau, de grottes de corail, de bosquets.
Sur la terrasse, entouré de Le Nôtre, Le Vau et Le Brun, le roi ne prête guère attention aux donzelles et godelureaux qui piaffent sur les marches d’un escalier de pierre. Blanche saute de voiture. En robe de taffetas à
Weitere Kostenlose Bücher