La Revanche de Blanche
avec aplomb.
Amusé, le roi lève les sourcils. Jean-François de La Vallière s’ébroue :
— Majesté, la rente que vous avez eu la générosité de m’allouer après ma campagne victorieuse contre les Munstériens ne suffira pas à redorer mon armée de chevaux frais.
— J’ai ouï-dire que vos succès ont été maquillés par quelques relations dont vous avez su user, persifle Athénaïs. Ceux qui vous ont vu à l’œuvre ont rapporté que votre couardise le disputait à votre vantardise. Somme toute, vous tiendriez plus de Matamore que de Bayard.
Satisfaite d’avoir cloué le bec à ce fat, la Montespan mise huit cents livres. Honteuse que son frère ait été démasqué, Louise se gratte le bout du nez.
— Tout atout ! Je remporte, déclare Athénaïs.
Le roi se penche vers elle :
— Auriez-vous la dame de cœur ?
— Je ne vous dirai rien ; celle de pique a ma préférence.
Choquée qu’Athénaïs mise au jeu plus que sa rente annuelle, Blanche se félicite d’avoir rembarré cette fichue baronne. Elle a fait son petit effet. Le roi l’a remarquée. Un bon début ! La soirée se prolonge. La lune rousse taquine le parc et les jets d’eau. Au loin, on entend le barrissement des éléphants. La cire macule les nappes tachées de vin, jonchées d’épluchures de pommes, de noyaux de mirabelles. Des chiens grignotent des os. Des laquais vaquent, indifférents aux derniers courtisans avachis sur des fauteuils. Un verre à moitié vide à la main, Jean-François de La Vallière hoquette en reniflant.
Dans la chambre d’Athénaïs, des robes dorment aux dossiers des chaises. Sur un guéridon, des éventails, des gants et des pétales de roses ont été jetés d’une main négligente. Une lumière diaphane éclaire l’épaule de Blanche, son jupon, sa cuisse. À demi cachée par le voile du ciel de lit, Athénaïs chuchote :
— Quelle pimbêche, cette Gabrielle.
— Son mari est idiot, approuve Blanche.
— Il a usé et abusé de la générosité de Louis. Sa fortune ne dépend que de la position de sa sœur. Pauvre Louise ! Elle est trop aimable pour être spirituelle. Le plein jour est trop dur pour ses traits délicats.
— Tu crois qu’Aglaé pourrait devenir le nouvel astre du jour ? la titille Blanche.
— Ses feux n’éclairent pas grand-chose.
— Le roi a-t-il appris les desseins de nos deux comploteuses ? s’inquiète Blanche.
— Pas à ma connaissance. Jamais je ne me permettrais de les dénoncer. Cela se retournerait contre moi. J’ai réfléchi. J’aimerais que nous allions consulter ensemble cette chiromancienne, je veux savoir si mon vœu se réalisera.
— Tu me le confieras ?
— Sûrement pas. Ça porte malheur.
Les jeunes filles finissent par s’endormir. Au milieu de la nuit, Athénaïs bondit, s’agrippe à Blanche :
— Mon rêve était horrible ! Un inconnu m’arrachait la clef d’une cassette qui pendait à mon cou. Elle contenait des secrets que je ne voulais révéler à aucun prix. Je vomissais du sang.
— Calme-toi, ce n’est qu’un cauchemar, la rassure Blanche. En Bretagne, on dit qu’il faut les lire à l’envers.
Un après-midi de chaleur, dans l’allée des cascatelles, le roi propose de jouer aux bouts-rimés. Sur un drap de lin, les demoiselles agitent leurs ombrelles. Plumes et moustache affûtées, Louis improvise un quatrain sur une jeune fille perdue dans une île. Athénaïs s’embrouille, Aglaé bafouille, Louise passe son tour. Le roi hoche la tête :
— Trouvez-nous quelque chose de plus amusant, mes chères amies.
Blanche prend sa respiration et improvise une fantaisie avec force mimes et picoteries :
— Imaginez que sur cette île, la pauvre fille s’aperçut qu’on l’observait, qu’on la guettait. Un faune la dévisageait ou plutôt, la regardait nue…
Louis applaudit, félicite la comédienne. Les autres font grise mine.
Les jours suivants, Blanche excelle aux quilles, aux dames, au reversi. Espiègle, enfantine, elle distrait le roi, ému qu’elle se signe quand sonne l’Angélus. Lorsqu’elle annonce, un rien vantarde, que les planches l’attendent, Aglaé soupire de soulagement, Athénaïs ne la retient pas.
Avant de partir, Blanche va saluer Louise. La favorite est en larmes. Elle vient d’apprendre la mort de Philippe, son second fils. Son préféré.
— Son cœur s’est arrêté un soir d’orage. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aux
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