La Revanche de Blanche
du Palais-Royal. Blanche et Marc surplombent le parterre où les spectateurs s’agglutinent. Le rideau s’ouvre sur Les Plaideurs . Des chiens urinent sur scène. Dandin, un juge à moitié fou, sort de chez lui par la fenêtre. Le bourgeois, Chicanneau et la comtesse de Pimbesche viennent plaider leur cause. Léandre, déguisé en huissier, propose à Dandin de faire le procès d’un chien qui a volé un chapon… La salle applaudit à tout rompre. Blanche est conquise, Marc, mitigé :
— Racine a voulu provoquer Molière avec cette farce inspirée des Guêpes d’Aristophane. Il se fourvoie, il ferait mieux de revenir à la tragédie.
— Si nous allions le voir ?
Au bar du théâtre, Racine salue les spectateurs venus boire un verre de vin de Champagne. Marc se faufile vers lui.
— Cher ami, cela fait longtemps ! s’exclame Racine. Vous êtes bien aimable d’être venu avec cette charmante Blanche. J’espère que ma satire du monde judiciaire vous a plu. Elle m’a permis de régler des comptes avec ma famille très portée sur la chicane et quelques faux amis dont, hélas, je ne manque guère.
Blanche s’empresse de le féliciter :
— J’ai ri de si bon cœur.
— Ma chère enfant, vos compliments respirent la franchise. Madame de Montespan m’a parlé de vous. Je serais heureux de vous offrir un rôle dans la tragédie que j’écris ces temps-ci. Il vous faudra être patiente, elle ne sera jouée que dans un an. Si vous le permettez, je vous aiderai à placer votre voix afin qu’elle traduise au mieux l’harmonie de mes vers. Pour moi, poésie et musique sont sœurs.
— Monsieur, je vous en serai très reconnaissante, oui vraiment. Je ferai tout pour être digne de vos œuvres, je les admire tant. Comment puis-je vous remercier ?
— Ne posez jamais une telle question à un homme, il risquerait de vous entraîner sur un chemin où vous ne voulez pas aller.
La comédienne rougit. Dans un an, elle n’aura plus le choix.
Un jeudi de janvier 1669, à six heures du soir, Blanche galope vers le théâtre du Palais-Royal sur Aurore, sa nouvelle jument. Elle s’attend à se glisser dans la peau de Dame Claude. Autour d’une table, Molière et La Grange font les comptes des recettes. Jean-Baptiste lui sourit :
— Belle Blanche, comment te portes-tu ?
— Bien, bien et vous ? L’Avare est-il un succès ?
— Une catastrophe ! Au début, le public nous a suivis, mais, après neuf représentations, il s’est fait de plus en plus rare. L’intrigue est-elle mal construite ? Certains effets comiques ont-ils été considérés comme une outrance contraire au bon goût ? Ai-je eu tort de parler d’argent ? Déteste-t-on Harpagon pour sa tyrannie ?
— On vous accuse de ne pas vous renouveler, poursuit La Grange. Peut-on reprocher à Molière de faire du Molière ?
— Nous avons été obligés d’arrêter de jouer, ma pauvre chérie, se lamente Jean-Baptiste.
— Avez-vous l’intention de reprendre la pièce ?
— Nous l’espérons ! soupire La Grange.
Désoeuvrée, Blanche déambule autour de Notre-Dame. Sur le parvis de la cathédrale, on fête le roi Carnaval. Des gamins aux chapeaux pointus à grelots font la course sur des échasses. Montreurs d’ours, jongleurs et chansonniers se démènent. On danse, on exhibe des masques, on boit, on oublie la misère et la mort qui rôde.
Aux premières giboulées de mars, sur ordre de la reine, Blanche rejoint la Cour à Saint-Germain. Au deuxième étage du château, des travaux sont en cours dans les appartements contigus de Louise et d’Athénaïs. Pour quatre mille livres, Jean Marot, un des architectes du roi, termine la construction de quatre grottes de rocaille identiques. Deux pour chacune. Pas de jalousies, du moins en apparence. Au milieu des gravats, Blanche croise Claude des Œillets :
— Madame de Montespan est sur le point d’accoucher, la prévient la demoiselle à double queue. Elle est terrorisée à l’idée qu’on découvre cette naissance. Par chance, la reine est victime de diarrhées, Madame passe ses journées au jeu.
Blanche se dirige vers une antichambre où Louise et Athénaïs sont habillées et coiffées par leurs chambrières. Le ton monte, elle n’ose entrer.
— Mon Dieu, Louise, vous aussi, vous êtes à nouveau grosse ! Vous m’avez caché cela, lui reproche Athénaïs. Vous espériez sans doute attendre que je sois délivrée pour me
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