La Revanche de Blanche
Cour se délecte des pitreries de Molière-M. Jourdain singeant les nobles. En travesti, Hubert joue sa femme. Mme Beauval, nouvelle recrue au rire communicatif, tient le rôle de Nicole, la servante. Les deux Jean-Baptiste, Lully et Molière, s’entendent comme larrons en foire. L’un en mamamouchi, l’autre croulant sous les broderies. Pour clore le tout, Molière invite les courtisans à participer au Ballet des Nations. Armande, La Grange, La Thorillière et Catherine de Brie se mêlent à la ronde des valets. Maîtres à danser, maîtres de musique, cuisiniers, tailleurs tournent autour du bourgeois outragé. Le théâtre est dans le théâtre. On jouit, on se réjouit. Le roi se lève, puis disparaît.
Jean-Baptiste fait grise mine. Blanche attend qu’il soit démaquillé pour aller vers lui.
— Le roi ne m’a pas dit un mot, s’attriste Molière. Mes farces le lassent. Depuis la mort de Madame, Racine est sous la protection de la marquise de Montespan : il a tout pouvoir.
Blanche l’assure de son amitié. Épuisé, découragé, trompé, Molière est figé dans sa douleur.
Dans la cour du château, Charlotte de Bouillon et Aglaé passent en gloussant devant Blanche.
— Mademoiselle de La Motte, ne savez-vous pas que des bruits circulent sur vous ? la toise Aglaé.
— Il ne manquait plus à votre médiocrité que vous ragotassiez, rétorque Blanche.
Aglaé soulève les pans de sa robe, accélère l’allure. Blanche se mord le pouce. À quoi cette vipère fait-elle allusion ? Sans se laisser démonter, elle se dirige vers Athénaïs. En robe d’or et d’argent, une longue traîne tenue par trois pages, la marquise grimpe les marches du palais entourée d’une nuée de mignons. D’un revers du bras, elle chasse les moucherons :
— Comment te portes-tu, ma chère, depuis tout ce temps ? As-tu passé un bel été ? On dirait que quelque chose t’ennuie.
— Je vais à merveille, si ce n’est qu’Aglaé vient de me dire que des rumeurs circulaient sur moi.
— Elle n’a pas tort. La reine a reçu hier une lettre anonyme, chuchote Athénaïs. Ton nom y figurerait… Je vais me renseigner. Si quelqu’un a osé te salir, je te défendrai. J’ai ma petite idée… À mon avis, ce doit être un coup d’Aglaé. J’assisterai demain au lever de la reine. Par prudence, mieux vaut que tu ne viennes pas. Nous en saurons plus. Il faut que j’y aille : Louis m’attend. J’ai à lui parler. J’ai décidé de faire capoter le projet de mariage de Lauzun et de la Grande Mademoiselle, une alliance contre nature…
Les dents serrées, Blanche grimpe dans sa chambre à fleurs. Elle feuillette le Journal d’Émilie qu’elle emporte partout et tombe par hasard sur ces mots :
Ne pas me laisser submerger par des chagrins vains, des espoirs illusoires. Jouez la dérision, la légèreté, l’ivresse des mots, l’amitié.
Les mots de sa mère lui font du bien. Une belle philosophie, un art de vivre. Nue sous ses draps, Blanche se prend à espérer que le roi revienne l’honorer.
Il ne viendra pas. Elle se consolera.
Après la messe, un missel à la main, Athénaïs traverse la terrasse, s’arrête près de Blanche, soulève sa voilette, parle bas :
— La reine nous a lu la lettre. Ce torchon prétend que tu es la maîtresse du roi. Tu aurais même un enfant de lui. Elle t’a couverte d’insultes en espagnol et a ordonné que tu sois exclue de ses dames de compagnie. J’ai protesté, tu me connais… Rien n’y a fait. Aglaé jubilait. Je l’aurais tuée !
— C’est monstrueux ! Tout est faux, archifaux, se rebiffe Blanche.
— Patience. Nous le prouverons et tu triompheras. Jusqu’à présent, nos tentatives pour qu’Aglé disparaisse ont échoué : la prochaine fois, nous ne la raterons pas. Elle a de plus en plus d’emprise sur le roi. Bientôt, c’est moi qu’elle trahira. Nous sommes liées à vie toutes les deux, n’est-ce pas ? Ne t’attarde pas à Chambord. Dès que tu seras à Paris, sois gentille, va chercher un philtre chez la Voisin. Elle a déménagé : je te dirai où elle se cache.
— La Des Œillets ne pourrait-elle pas y aller à ma place ? ronchonne Blanche.
— Je l’ai renvoyée. Je n’ai confiance qu’en toi.
— Pardonne-moi, mais je n’ai pas envie de revoir cette sorcière.
— Comment ! Tu ne vas pas me lâcher maintenant. Tu sais que Racine est sous ma protection.
— Soit. J’irai, mais je ne veux rien
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