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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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savoir, insiste Blanche avec la désagréable impression d’être manipulée.
    Une heure plus tard, près des bords de la Loire où des lavandières battent leur linge, elle s’en veut d’avoir cédé, une fois de plus.
     
    À l’hôtel de Sagone, Ninon a invité Mme de La Sablière, la princesse de Guéméné, Anne de Maure, Sapho, le cercle des vieilles Précieuses. Blanche arrive avant la réception.
    — Marraine… une chose terrible… une lettre anonyme… Je serais renvoyée, bredouille-t-elle.
    — Tout doux ! Bois donc un verre d’orgeat, l’apaise Ninon.
    Blanche évoque l’affaire de la lettre. Ninon fronce les sourcils :
    — Es-tu sûre qu’Athénaïs dit vrai ? La reine ne t’a pas convoquée. Cette histoire sent le brûlé.
    — Athénaïs n’a pu inventer ça : elle m’a décrit la scène du coucher, l’air sournois d’Aglaé.
    — Les Bouillon sont des furoncles, mais je ne les crois pas aussi dangereuses qu’Athénaïs le prétend. J’interrogerai la marquise de Sévigné. En attendant, concentre-toi sur ton prochain rôle.
    Parfumée à la violette, Marie de Sévigné se repaît des malheurs de la Grande Mademoiselle : son royal cousin s’oppose à son mariage. La mort des deux frères de la Brinvilliers échauffe les esprits. Aucun écho de la lettre.
     
    Les jours tombent de plus en plus tôt. Blanche découvre Bérénice dont elle a reçu le livret. Rien d’autre ne compte que la mélodie de deux âmes blessées, Bérénice et Titus, ce jeune roi amoureux de la reine de Palestine qui se soumet à la loi de Rome. La comédienne se laisse porter par l’immense tristesse qui endeuille la tragédie, par la tendresse qui émane de cette élégie de l’amour malheureux.
     
    Le 3 novembre 1670, sur la scène de l’hôtel de Bourgogne, une femme habillée d’une robe de taffetas blanc, un collier de perles au cou, déclame son texte. Petite, brune, yeux enfoncés, nez aquilin : au premier regard, Blanche la trouve laide. La Fleur, Floridor, Hauteroche, Brécourt sont fascinés. Anne d’Ennebault se penche vers Blanche :
    — C’est Marie Champmeslé. Elle remplace la Des Œillets, morte le 25 octobre dernier. Elle vient du théâtre du Marais. On l’appelle l’Enchantrice ou la Sans Pareille. Racine est tombé amoureux d’elle. Son mari, cet homme trapu près de La Fleur, espère remplacer Floridor qui prend sa retraite à la fin de la saison…
    Racine guide sa muse, insiste sur les nuances des vers, lui explique qu’il faut mesurer les longues, les brèves, marquer l’accent tonique :
    — Veuillez baisser votre voix encore plus que le sens ne semble le demander. Prenez un ton à l’octave au-dessous du vers précédent. Bérénice vit un drame intérieur qui ne peut se traduire que par les nuances, les expressions du visage.
    Racine soupire d’aise. Se tourne vers la salle :
    — Bonjour mademoiselle de La Motte. Ces conseils valent aussi pour vous. Venez lire votre partition.
    Dès les premiers mots de Phénice : Que je le plains ! Tant de fidélité, Madame, mériterait plus de prospérité , Racine hoche la tête :
    — Vous n’y êtes pas du tout. Cela sonne faux…
    Blanche se remémore les conseils de Molière. Elle se sert de la déception qu’elle a ressentie en apprenant son renvoi par la reine. Ses lèvres tremblent, sa poitrine se serre. Ses mots sont enfin sous-tendus par ses sentiments.
    — Vous y êtes enfin, la félicite Racine, continuons.
    Le rôle de Phénice est mince, mais la comédienne apprend beaucoup en regardant la Champmeslé déclamer avec des trémolos dans la voix : Le temps n’est plus, Phénice, où je pouvais trembler… Racine met fin à la répétition. Les comédiens n’iront pas boire un verre ensemble.
     
    En rentrant, Blanche découvre un billet d’Athénaïs sur sa coiffeuse :
    Nous sommes à Paris. Rends-toi chez notre amie, rue des Orphelins dans le Fief d’Alby. Je t’attends chez moi demain. A.
    Un mot bref et sec, un ordre. Blanche s’y attendait mais tout de même ! Elle se raisonne : Athénaïs soutient Racine. Pas le choix. Une heure plus tard, enveloppée dans une pèlerine noire, elle galope vers la cour des Miracles, descend de cheval rue du Caire. Depuis deux ans, le lieutenant de police, La Reynie, fait raser les maisons de ce repaire de voleurs et de mendiants. Il a déjà envoyé aux galères soixante mille truands marqués au fer rouge. Drilles, rifodés, malingreux,

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