La Révolution et la Guerre d’Espagne
révolutionnaire, trois pouvoirs
distincts : celui de l’Armée, celui de la « Junte déléguée » de
Martinez Barrio, celui du Comité exécutif populaire. L’assaut des casernes qui,
dans la plus grande partie de l’Espagne s’est déroulé entre le 18 et le 21
juillet, ne se produira, à Valence, qu’au début du mois d’août.
La situation au soir du
20 juillet
Au soir du 20 juillet, sauf à Valence, les positions sont
prises. Certes, on continue à se battre sur les barricades, dans les rues de La
Corogne où les ouvriers luttent à coups de pavés ; dans les faubourgs de
Saragosse et de Séville, autour des casernes, à Saint-Sébastien, Gijon,
Santander, près d’Algésiras où des détachements rebelles viennent de débarquer,
un peu partout, là où des tireurs isolés de l’un ou l’autre camp poursuivent un
combat désespéré. Ce ne sont pourtant, dans l’ensemble, que des opérations de
nettoyage. Chaque camp a maintenant son territoire dont il parachève la
conquête.
C’est un véritable bulletin de victoire que Franco
télégraphie à Queipo : « L’Espagne est sauvée : les provinces d’Andalousie,
Valence, Valladolid, Burgos, Aragon, les Canaries et les Baléares sont unies à
nous.» Le général est bien optimiste. En réalité, le pronunciamiento en tant
que tel a échoué. Non seulement les rebelles ont essuyé de terribles revers,
mais ils ont déclenché la révolution ouvrière que leur action avait voulu
prévenir. Coup sur coup, ils viennent de perdre quelques-uns de leurs chefs les
plus écoutés et les plus capables, Calvo Sotelo, Sanjurjo, Goded, José-Antonio
Primo de Rivera [78] ,
tombé dans la prison d’Alicante aux mains des miliciens. Surtout, leurs
défaites, en détruisant la légende d’invincibilité de l’armée dans les luttes
civiles, les privent de leur atout majeur, la peur. Ce n’est plus désormais à
un faible gouvernement de Front populaire qu’ils se heurtent, mais à une
révolution. Le pronunciamiento a échoué. La guerre civile commence.
Double pouvoir en Espagne républicaine
Là où l’insurrection a été écrasée, elle n’est pas seule
vaincue. Entre son armée révoltée et les masses populaires armées, l’État
républicain a volé en éclats. Le pouvoir s’est littéralement émietté et,
partout où les militaires ont été écrasés, il est passé dans la rue où des
groupes armés résolvent sommairement les tâches les plus urgentes : la
lutte contre les derniers carrés de l’insurrection, l’épuration de l’arrière,
la subsistance. Certes, le gouvernement républicain subsiste et aucune autorité
révolutionnaire ne se dresse en rivale avouée contre la sienne dans cette zone
que les correspondants de gauche appellent très vite la zone
« loyaliste ». Mais l’autorité du cabinet du docteur Giral ne dépasse
guère les environs de Madrid où elle survit moins par son action et son
prestige propres que par ceux des organisations ouvrières, l’U.G.T. dont le
réseau d’informations et de communications assure seul les liaisons du
gouvernement avec le reste du pays « loyal », le parti socialiste dont l’exécutif
siège en permanence au ministère de la Marine où Prieto, ministre sans titre, s’est
installé.
Petit à petit, pourtant, entre la rue et le gouvernement
apparaissent des organes de pouvoir nouveau qui jouissent d’une réelle autorité
et se réclament souvent aussi bien de l’une que de l’autre. Ce sont les
innombrables Comités locaux, et, à l’échelle des régions et des provinces, de
véritables gouvernements. C’est en eux que réside le pouvoir nouveau, le
pouvoir révolutionnaire qui s’organise en toute hâte pour faire face à ces
énormes tâches immédiates et lointaines, la poursuite de la guerre et la
reprise de la production en pleine révolution sociale.
Pour l’étranger, journaliste ou militant qui franchit la
frontière, attiré par les événements, l’Espagne offre un spectacle inhabituel,
à la fois confus et déroutant, toujours haut en couleurs. Elle vit la
révolution que les généraux avaient voulu prévenir, mais qu’ils ont, en
définitive, provoquée. Réaction défensive au départ, elle est devenue une force
offensive et agressive. Réaction spontanée, née de milliers d’initiatives
locales, elle prend aussi mille visages dans lesquels l’observateur superficiel
ou hostile ne voit qu’anarchie ou désordre, sans en saisir la
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