La Révolution et la Guerre d’Espagne
signification
profonde : la prise en main par les travailleurs de leur propre défense
et, par là, de leur propre sort, la naissance d’un pouvoir nouveau.
Barcelone est le symbole de cette situation révolutionnaire.
Pour l’excellent observateur qu’est Franz Borkenau, elle est le « bastion de l’Espagne
soviétique » – au sens primitif du terme –, de l’Espagne des conseils et
des comités ouvriers. Elle offre en effet, non seulement l’aspect d’une ville
peuplée exclusivement d’ouvriers, mais encore celui d’une ville où les ouvriers
ont le pouvoir : on les voit partout, dans les rues, devant les immeubles,
sur les Ramblas ,fusil en bandoulière, pistolet à la ceinture, en
vêtements de travail [79] .
Plus de bicornes de gardes civils, très peu d’uniformes, pas de bourgeois ni de señoritos : la Généralité a, dit-on, « déconseillé » le port du
chapeau. Plus de boîtes de nuit, ni de restaurants, ni d’hôtels de luxe :
saisis par les organisations ouvrières, ils servent de réfectoires populaires.
Les habituels mendiants ont disparu, pris en charge par les organismes
syndicaux d’assistance. Les autos arborent toutes fanions, insignes ou
initiales d’organisations ouvrières. Partout, sur les immeubles, les cafés, les
boutiques, les usines, les trams ou les camions, des affiches indiquant que l’entreprise
a été « collectivisée par le peuple » ou qu’elle « appartient à la C.N.T.
». Partis et syndicats se sont installés dans de grands immeubles modernes,
hôtels ou sièges d’organisations de droite. Chaque organisation a son quotidien
et son émetteur-radio. Sauf la cathédrale, fermée, toutes les églises ont
brûlé. La guerre civile continue et toutes les nuits de nouvelles victimes
tombent : « Les Ramblas, écrit J.-R. Bloch, n’ont cessé de vivre sur
un rythme double. Ramblas de jour, pleines de fleurs, d’oiseaux, de promeneurs,
de cafés, de voitures, de tramways. Et, le soir tombé, les étalages de fleurs
disparus, les marchands d’oiseaux éloignés, les cafés fermés, Ramblas de nuit,
le règne du silence et de la peur, quelques ombres furtives se glissant le long
des murs » [80] .
Madrid, quelques jours après, offre au voyageur venu de
France un spectacle différent. Ici aussi, certes, les syndicats et partis sont
installés dans de beaux bâtiments, ont organisé leurs propres milices, mais les
ouvriers armés sont rares dans les rues, presque tous dans le nouvel uniforme
le « mono», la combinaison de travail bleue. Les anciens uniformes n’ont pas
disparu ; dès le 27 juillet, la police régulière a repris dans les rues un
service normal. Toutes les églises sont fermées, mais elles sont loin d’avoir
été toutes incendiées. Il y a moins de Comités, peu de traces d’expropriation.
Les mendiants habituels tendent la main au coin des rues. Restaurants chics et
boîtes de nuit fonctionnent comme « avant ». La guerre, toute proche ici, a arrêté
le cours de la révolution.
Entre ces deux extrêmes, l’Espagne républicaine offre toute
une gamme de nuances, d’une ville à l’autre, d’une province à l’autre. Une
analyse de détail les fera plus clairement apparaître.
Le pouvoir des groupes armés
Un trait, en tout cas, est commun à toute l’Espagne
républicaine et a retenu, avant tout, dans ces journées, l’attention des
observateurs étrangers, c’est ce que la grande presse étrangère de l’époque
appelle la « terreur anarchiste » ou la « terreur rouge ». Le
jour même de la victoire, les ouvriers armés déclenchent une sanglante
épuration.
Toutes les conditions sont d’ailleurs réunies pour une telle
explosion qu’ont préparée six mois d’excitation et de violences quotidiennes.
Le combat espéré ou redouté libère et déchaîne les haines et les terreurs
accumulées. Chacun se bat sachant qu’il n’a d’autre issue que la victoire ou la
mort et que le chemin de la victoire passe d’abord par la mort des ennemis.
Dans la zone « républicaine », il n’y a
pratiquement plus de forces du maintien de l’ordre, plus de corps de police.
Leurs membres sont passés dans les rangs des insurgés ou se sont fondus dans
ceux des combattants. Partout, depuis le 18 ou le 19, la grève est générale et
va se prolonger encore pendant au moins une semaine : les travailleurs
sont du matin au soir dans la rue, les armes à la main. Dans les premières
heures, les militants seuls ont été
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