La Révolution et la Guerre d’Espagne
imputant aux anarchistes la responsabilité de la plupart des
crimes, il est juste de souligner que c’est l’un d’entre eux, non le moindre,
Juan Peiro, qui dans Llibertat, dénonce les crimes accomplis « en se
retranchant derrière le mouvement révolutionnaire,... en s’abritant derrière l’impunité
créée par l’ambiance », et affirme la nécessité « au nom de l’honneur
révolutionnaire », d’ « en finir avec cette danse macabre de toutes les
nuits, avec cette procession de morts », avec « ceux qui tuent pour tuer » [81] . La C.N.T., à
Barcelone, donne l’exemple en faisant exécuter sur place un de ses militants,
Fernandez, secrétaire du syndicat de l’alimentation, coupable d’avoir, en ces
journées, assouvi une vengeance personnelle [82] .
La terreur contre l’Église catholique
Il faut considérer dans une optique différente les incendies
et pillages de couvents et d’églises, les arrestations et exécutions de prêtres
et de religieux qui marquent ces premières semaines. On a dit – et c’est, dans
une large mesure, vrai – qu’il s’agissait souvent de représailles, à Barcelone
oùde nombreux insurgés se sont barricadés dans les églises, à Figueras
où des prêtres ont, de la cathédrale, tiré sur les ouvriers, partout où les pacos ,les tireurs isolés, ont bénéficié de complicité dans les établissements
religieux.
Mais le mouvement contre l’Église catholique est plus
profond qu’une simple réaction au cours de la mêlée. Il y a, certes, quelques
églises pillées par de simples voleurs. Mais, la plupart du temps, ce sont ces
trésors qui financent les premières activités révolutionnaires : les
miliciens de Gerone saisissent ainsi 16 millions de pesetas de bijoux dans le
palais épiscopal de Vich, et les remettent au Comité central.
En réalité, des manifestations spectaculaires fréquentes,
comme les grand-guignolesques exhumations de cadavres et de squelettes,
montrent que ces initiatives répondent – bien au-delà de simples actions de
représailles – à la volonté d’atteindre jusque dans le passé une force que les
révolutionnaires considèrent comme leur pire ennemie. En fusillant les prêtres
et en incendiant les églises, ouvriers et paysans espagnols ne cherchent pas
seulement à détruire des ennemis et le symbole de leur puissance, mais à
extirper définitivement de l’Espagne tout ce qui, à leurs yeux, incarne l’obscurantisme
et l’oppression. Un catholique fervent, le ministre basque Manuel de Irujo,
confirme une telle interprétation quand il déclare: « Ceux qui brûlent des
églises ne manifestent pas ainsi des sentiments antireligieux; il ne s’agit que
d’une démonstration contre l’État et, si j’ose dire, cette fumée qui monte au
ciel n’est qu’une sorte d’appel à Dieu devant l’injustice humaine » [83] .
Le pouvoir des comités
Le syndicaliste français Robert Louzon a ainsi décrit le
spectacle qui attend, au début d’août, le voyageur venu de France :
« Dès que vous franchissez la frontière, vous êtes arrêté
par des hommes en armes. Qui sont ces hommes ? Des ouvriers. Ce sont des
miliciens, c’est-à-dire des ouvriers vêtus avec leurs habits ordinaires, mais
armés – de fusils ou de revolvers – et, au bras, l’insigne de leur fonction ou
du pouvoir qu’ils représentent... Ce sont eux qui... décideront... de ne pas
vous laisser entrer, ou bien d’en référer au « Comité ».
« Le Comité, c’est-à-dire le groupe d’hommes qui siège
là-haut au village voisin et qui y exerce tout pouvoir. C’est le Comité qui
assure les fonctions municipales habituelles, c’est lui qui a formé la milice
locale, l’a armée, lui fournit son logement et son alimentation avec les
ressources qu’il tire d’une contribution imposée à tous les habitants, c’est
lui qui autorise à entrer ou à sortir de la ville, c’est lui qui a fermé les
magasins fascistes et qui opère les réquisitions indispensables, c’est lui qui
a fait démolir l’intérieur des églises, afin que, selon l’affiche qui figure
sur elles toutes, l’église, devenue « propriété de la Généralité » serve
aux institutions populaires » [84] .
Dans toutes les villes et dans la plupart des villages d’Espagne
agissent sous des noms divers des Comités semblables : Comités populaires,
de guerre, de défense, Comités exécutifs, révolutionnaires ou antifascistes,
Comités
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