La Révolution et la Guerre d’Espagne
définitive qu’offrir aux puissances qui se préparent à la seconde un
fertile terrain d’expériences. La révolution devenue guerre civile ne sera
finalement que le prélude et la répétition générale de la deuxième guerre
mondiale.
Un pays écrasé par son passé
C’est au retard de son développement économique général que
la Russie des tsars devait son caractère profondément arriéré. L’Espagne, au
contraire, doit le sien, par un curieux paradoxe, aux conséquences directes de
l’avance qu’elle avait prise, au début des temps modernes, sur les autres
puissances européennes.
A l’époque où son hégémonie s’affirmait sur l’Europe en même
temps que l’essor de son commerce mondial, sa monarchie se centralisait, ses
particularismes régionaux s’estompaient : l’Espagne féodale reculait tandis qu’une
nation et un État moderne s’ébauchaient. Mais la précocité même de cette
expansion devait se retourner contre elle. La découverte de l’Amérique et l’édification
d’un empire immense sur le Nouveau Continent portaient en elles les germes de
la décadence. Tandis que les métaux précieux rapportés par les galions du roi
allaient vivifier l’Europe occidentale, la métropole semblait frappée de
paralysie, devenait en même temps que « fontaine de gloire » la
« vallée de misère » qu’ont su décrire les historiens du XVI e .
L’Espagne perd, au XIX e , ses dernières positions mondiales et ne
sera finalement qu’effleurée par la révolution industrielle et libérale qui
achève de transformer la vieille Europe.
Les classes d’ancien régime continuent de se décomposer sans
pourtant que s’achève la formation de la nouvelle société bourgeoise en
gestation. Le retard du développement capitaliste, le rétrécissement des rapports
économiques freinent la formation de la nation, renforcent les tendances
centrifuges et le séparatisme des provinces : les entrepreneurs du Pays basque
et de la Catalogne qui ont, au XIX e , bénéficié d’un développement
industriel limité, supportent avec impatience, mais sans avoir la force de le
secouer, le joug de l’oligarchie castillane. Les masses paysannes prolétarisées
font parfois exploser leur colère dans de brutales flambées, véritables «
jacqueries » en plein siècle du machinisme. Encore uni par mille liens au
monde paysan, un prolétariat s’organise, animé de la même combativité. Ainsi s’accumulent,
dans tous les pores d’une société complexe, les germes de destruction d’un
passé encore si vivant et si pesant qu’il peut, au début du XX e siècle, sembler éternel.
Un pays semi-colonial
Au début du XX e siècle, l’Espagne est un pays
essentiellement agricole. C’est à l’agriculture que se consacrent plus de 70 %
de sa population active. Le paysan espagnol travaille avec les mêmes outils que
son ancêtre au Moyen Age : dans l’ensemble du pays, l’araire l’emporte
encore sur la charrue. Les rendements à l’hectare sont parmi les plus faibles d’Europe,
et plus de 30 % des terres cultivables restent en friche.
L’industrie, là où elle existe, est à peine sortie de la
période manufacturière. La concentration se fait à un rythme très lent : seule
la métallurgie du Pays basque présente tous les traits de la grande industrie
capitaliste. En Catalogne, l’industrie textile, la plus importante du point de
vue de la production globale, est encore éparpillée dans une poussière d’entreprises
minuscules.
Sur le marché mondial, l’Espagne n’a à offrir que les
produits de son sol et ceux de son sous-sol en échange des produits
manufacturés des industries étrangères. Mais elle est aussi, inévitable
corollaire, un terrain d’élection pour les capitaux étrangers investis depuis
quelques décennies dans les secteurs les plus rentables et les plus
importants : capitaux belges (un demi-milliard de francs) dans les chemins
de fer et les tramways, capitaux français (trois milliards) dans les mines, le
textile, l’industrie chimique, capitaux canadiens dans les centrales
hydro-électriques en Catalogne et au Levante, capitaux britanniques (cinq
milliards) qui contrôlent toute la métallurgie du Pays basque, les
constructions navales, les mines de cuivre avec Rio Tinto [5] , capitaux
américains, nouveaux venus mais non des moindres, qui contrôlent notamment les
téléphones [6] ,
capitaux allemands enfin qui, en 1936, déjà incorporés dans les
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