La Révolution et la Guerre d’Espagne
« ceux qui font des révolutions à demi ne font
que se creuser un tombeau ». La division du travail entre nous en est la
preuve. La révolution proprement dite est l’objet d’une première partie rédigée
par Pierre Broué, tandis qu’Emile Témime s’est consacré à la guerre elle-même,
ses aspects internationaux, ainsi qu’à la naissance de l’Etat
national-syndicaliste. Qu’on n’imagine cependant pas que notre livre résulte d’une
juxtaposition de deux exposés sur des thèmes voisins. Nous avons voulu ces deux
parties distinctes pour souligner deux des points de vue – les plus importants
à nos yeux – d’où l’on peut aborder l’étude du sujet qui fut le nôtre. L’inconvénient
majeur de cette méthode est de donner occasion à d’inévitables répétitions que
nous avons pourtant le plus possible allégées [4] .
L’avantage est que ce double éclairage peut projeter sur les événements une
lumière plus indiscrète, en éclairer la complexité sans surcharger l’exposé de
remarques et retours en arrière. Pendant les trois années de notre
collaboration, nous avons quotidiennement confronté nos points de vue, échangé
nos notes et nos fiches, critiqué nos documents et nos interprétations,
obligeant « l’autre » à de nouvelles recherches, et, dans la phase
finale, à des rédactions successives et enrichissantes. Qu’on ne nous tienne
pas rigueur si, étant nous-mêmes nos premiers lecteurs, nous nous croyons en
droit d’affirmer que cette collaboration critique, ces critiques parfois vives
quoique toujours amicales, sont la preuve de la conviction et du sérieux que
nous avons apporté dans notre tâche commune. Nous pensons avoir « fait le
point » dans la mesure du moins où cela est possible avec les seules
sources imprimées, déjà énormes, qui ont pu être mises à notre disposition.
Quelle que soit leur origine, nous avons essayé de les juger en historiens et d’éliminer
tout parti pris, d’exposer honnêtement les faits en ne portant qu’un minimum de
jugements ; nous espérons avoir ainsi laissé à chacun toute latitude de
mettre l’accent sur tel ou tel aspect primordial à ses yeux. C’est pourquoi
nous serons heureux de nous voir apporter objections, critiques, témoignages
nouveaux, tout ce qui, à travers notre travail et par lui, peut contribuer à la
connaissance de la vérité, qui ne peut être, à nos yeux, que le fruit d’une
recherche constante.
Il nous reste – et ce n’est pas le moindre de nos devoirs –
à remercier tous ceux sans qui cet ouvrage n’aurait pas vu le jour, Jérôme
Lindon, directeur des Editions de Minuit, nos amis d’Arguments, Edgar Morin et
Kostas Axelos, qui nous ont introduits auprès de lui, et surtout ceux qui sont
avec nous co-auteurs, tous les témoins, Espagnols ou non, politiques, écrivains
et ouvriers, en Europe et en Amérique, trop nombreux pour être tous cités, qui
nous ont répondu, ont fouillé dans leurs mémoires et dans leurs archives, consacré
des heures à nos questionnaires, recherché des documents inédits et des témoins
disparus. Leur unique souci, malgré la diversité de leurs horizons politiques,
a été de nous aider dans l’approche de la vérité. Nous adressons des
remerciements particuliers à M. Jordi Arquer, qui a mis à notre
disposition sa bibliothèque et sa documentation, uniques sur ce sujet, et nous
a aidés de ces conseils. Enfin Jean-Jacques Marie a traduit pour nous des
documents en langue russe.
P. B., E. T.
Partie 1
Oligarques et républicains
L’Espagne du début du XX e siècle est l’archaïsme
de l’Occident : dans ce monde qui s’uniformise, elle est l’îlot des traditions
et ses maîtres se flattent d’avoir su, face aux courants politiques et
économiques modernes, maintenir l’ « hispanité ». C’est pourtant
dans ce pays, profondément enfoncé dans son passé, que se déroule, à partir de
1936, la dernière révolution de l’entre-deux-guerres. Comme la Russie en 1917, l’Espagne est, alors, le chaînon le plus faible du monde capitaliste ; là s’arrête cependant la
comparaison. La révolution espagnole, à la différence de l’Octobre russe, n’était
pas la première étincelle d’un incendie qui se propageait, mais seulement la
dernière flambée d’un feu déjà éteint dans toute l’Europe. La révolution russe
avait annoncé la fin de la première guerre mondiale. La révolution espagnole ne
fera en
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