La Révolution et la Guerre d’Espagne
Comités régionaux et locaux, ses Conseils d’Usine,
ses Milices de combat, ses Commissions d’investigation, ses Patrouilles de
contrôle, ses Tribunaux révolutionnaires ? Un gouvernement reposant sur le
respect de la propriété privée, émanant de l’assemblée élue en février sur le
programme libéral du Front populaire ? Ou un gouvernement émanant des Conseils
et Comités et se fixant la tâche révolutionnaire de réaliser le socialisme avec
ses nuances, « autoritaire » ou « libertaire » ?
Le contexte international
C’est le problème même de la révolution qui se trouve posé.
Faut-il ou non la poursuivre ? Faut-il ou non l’arrêter ? Des divergences
mineures, au départ, sur de telles questions, deviennent rapidement des
oppositions irréductibles. La poursuite, à tout prix, de la révolution,
comporte 1e risque de faire perdre la guerre. La volonté d’arrêter la
révolution amène tout droit à la combattre et à changer ainsi complètement les
données de la guerre civile.
Or il est clair qu’en 1936 le rapport des forces à l’échelle
mondiale est loin d’être aussi favorable à la révolution espagnole qu’il l’était
en 1917-19 à la révolution russe. L’U.R.S.S. a cessé d’être l’animateur du
mouvement révolutionnaire mondial. C’est l’époque où Staline entreprend la
liquidation de la vieille garde des bolcheviks, décapite le mouvement
communiste international dans la série des procès et des purges. L’Allemagne,
où la révolution ouvrière a été une menace pendant plus d’une décennie, voit
maintenant son mouvement ouvrier, partis et syndicats, écrasé sous le talon de
fer du nazisme. Le régime fasciste de Mussolini n’est pas contesté en Italie.
Aucune perspective révolutionnaire proche ne subsiste en Europe orientale. L’Angleterre
est parfaitement stable. La France est la seule exception, où vient de prendre
fin la grande vague de grèves de juin 1936. Il semble pourtant que le
gouvernement de Front populaire du socialiste Léon Blum l’ait définitivement
enrayée. Au socialiste révolutionnaire Marceau Pivert qui affirmait en juin 36
que « tout était possible », et qui voit dans l’action de la
classe ouvrière espagnole [157] un exemple révolutionnaire à suivre en France, Maurice Thorez, secrétaire
général du parti communiste français, a répondu que tout n’était pas possible
et qu’il fallait savoir terminer une grève quand ses objectifs étalent
atteints. La menace hitlérienne pèse lourdement dans les arguments de ceux qui
prêchent la modération : il est clair que ni le parti socialiste S.F.I.O.,
ni le parti communiste ne consentiront à dépasser les limites du programme de
tendance « radical-socialiste » du Front Populaire dont ils
constituent l’aile ouvrière. Il est peu vraisemblable par ailleurs qu’ils
soient, dans un avenir proche, débordés par leurs troupes. Il n’y a pas, en
France, de formations politiques ou syndicales équivalentes à la C.N.T.-F.A.I.,
au P.O.U.M., dont le rôle est essentiel dans le mouvement espagnol. La classe
ouvrière française démontrera de mille façons sa sympathie pour la révolution
espagnole. Mais elle ne la connaît qu’à travers le Populaire, l’Humanité, ou Paris-Soir [158] , qui lui en donnent des images peu différentes pour l’essentiel. Les amis
français de la C.N.T. et du P.O.U.M . ne peuvent opposer aux grands
organes du Front populaire ou à la grande presse que la propagande dispersée de
journaux épisodiques et de revues confidentielles, émanant d’organisations
minuscules, violemment dressées les unes contre les autres. Les
révolutionnaires espagnols se sentent seuls.
Il est, certes, possible de discuter à perte de vue sur les
possibilités qu’ils avaient de compenser cet isolement par une politique
révolutionnaire hardie [159] .
On peut, avec Trotsky penser que la révolution espagnole ouvrait la possibilité
d’un renversement du rapport des forces à l’échelle mondiale et que sa défaite
a précisément ouvert la voie au déchaînement de la deuxième guerre mondiale [160] . Le fait est que
le sentiment de leur isolement a été l’un des éléments qui détermina l’attitude
des révolutionnaires espagnols dont beaucoup renoncèrent à la poursuite de la
révolution. Car l’un des motifs, non le moindre sans doute, de la politique de
non-intervention réside dans les craintes des capitalistes anglais et
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