La Révolution et la Guerre d’Espagne
tâche vitale : la guerre.
La liquidation du pouvoir révolutionnaire
Badajoz, Irun, Talavera, Tolède sont les étapes d’une
campagne d’été désastreuse pour les révolutionnaires, la condamnation aussi d’une
dualité de pouvoir qui porte en grande partie la responsabilité de ces revers
militaire. Pour faire la guerre, il faut un pouvoir unique. La dualité entre le
pouvoir des Comités et celui de l’État est un obstacle à la conduite de la
guerre. Le seul problème, à l’automne de 1936, est de savoir lequel des deux
pouvoirs, républicain ou révolutionnaire, l’emportera.
Comités et soviets
En créant, à tous les échelons, des organismes de type
« conseils », organes de lutte, puis organismes de pouvoir qu’ils
appelaient consejos , comités ou juntas ,ouvriers et
paysans espagnols avaient, sans le savoir, à leur manière et dans leur style
propre, repris la tradition des révolutions ouvrières et paysannes du siècle,
celle des « Conseils d’ouvriers de paysans et de soldats », les Soviets
des révolutions russes de 1905 et 1917, les Räte de la révolution
allemande de 1918-1919 [154] .
La traditionnelle division de la classe ouvrière espagnole
explique parfaitement que la forme initiale d’organisation du pouvoir
révolutionnaire, au lendemain du 19 juillet, ait résulté d’accords entre partis
et syndicats. Tels quels, les Comités ont pourtant, nous l’avons vu, représenté
dans leurs débuts beaucoup plus que l’addition de représentants d’organisations
diverses. Plus que des comités de liaison, ils ont été l’expression de la
volonté révolutionnaire de milliers de militants, et cela indépendamment de
leur affiliation politique. La meilleure preuve en est l’hostilité ou l’indifférence,
à l’égard des consignes de leurs propres partis, de nombreux militants qui s’étaient
montrés beaucoup plus dociles, pendant les premières semaines, à l’égard de
leurs Comités. Mais une telle situation ne pouvait se prolonger indéfiniment.
Pour que les Comités aient pu devenir de véritables soviets, il eût fallu qu’à
un moment ou à un autre ils cessent d’être composés de responsables d’organisations
–désignés ou élus – pour devenir des organismes élus et révocables dans
lesquels jouât démocratiquement la loi de la majorité, non la règle des accords
de sommet. Or, cela ne se produit nulle part en Espagne. C’est spontanément que
les ouvriers et paysans espagnols ont désigné leurs Comités. Mais c’est avec
autant de spontanéité qu’ils les placent sous l’égide des partis et syndicats,
qui ne sont pas, quant à eux, décidés à abandonner au profit d’un nouvel
organisme l’autorité et la puissance qu’ils ont pu saisir grâce à l’effondrement
de l’État.
Aucun parti ni syndicat ne se fait le champion du pouvoir
des Comités-gouvernement, ni de leur transformation en soviets. Santillan,
parlant du Comité central, écrit : « Il fallait le renforcer, l’appuyer, pour
qu’il remplisse mieux encore sa mission, puisque le salut était dans sa force,
qui était celle de tous », et confesse son échec : « Dans cette
interprétation, nous sommes restés isolés face à nos propres amis et
camarades » [155] .
André Nin, familier de la révolution russe, affirme que les Comités ne
sauraient devenir des soviets, car l’Espagne n’en a pas besoin [156] .
Aussi, peu à peu, les Comités cesseront-ils d’être de
véritables organismes révolutionnaires, faute de se transformer en expression
directe des masses soulevées. Ils redeviennent des « Comités d’entente »,
dans lesquels l’action des ouvriers et des paysans se fait de moins en moins
sentir, au fur et à mesure que l’on s’éloigne des journées révolutionnaires et
de l’exercice direct du pouvoir, dans la rue, par les travailleurs en armes,
dans lesquels au contraire l’influence des appareils des partis et des
syndicats devient prépondérante.
Aussi est-ce en définitive à ces derniers que reviendra la
tâche de résoudre le problème du pouvoir, tel qu’il se pose à l’automne 1936,
dans le cours de la révolution et pour faire face à la guerre civile. Quelle
autorité doit supplanter l’autre ? Qui doit avoir le pouvoir ? Le gouvernement
de Front populaire, avec ses fonctionnaires, ses magistrats, sa police, son
armée, en un mot un appareil d’État reconstitué ? Ou un gouvernement des
Conseils et des Comités, avec ses
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