La Révolution et la Guerre d’Espagne
français
pour leurs intérêts immédiats en Espagne et, à plus longue portée, dans leurs
propres pays [161] .
Londres et Paris peuvent envisager de soutenir, avec bien des précautions, une
Espagne démocratique et républicaine, mais non une Espagne révolutionnaire.
Tout le monde, anarchistes compris, en est parfaitement conscient en Espagne.
Raison ou prétexte, l’argument est de poids : il ne faut pas effrayer les
éventuels fournisseurs. La politique de l’U.R.S.S. jouera d’ailleurs dans le
même sens : l’affaire espagnole, aux yeux de Moscou ne doit, à aucun prix,
fournir l’occasion d’isoler l’U.R.S.S. etde la séparer des démocraties
occidentale ! Si l’on ajoute que Staline n’a pas la moindre envie de
soutenir un mouvement révolutionnaire dont il considère certains des
animateurs, anarchistes et communistes dissidents du P.O.U.M., comme ses pires
ennemis parce que concurrents éventuels du monopole des P.C. sur la classe
ouvrière, on comprend que l’U.R.S.S. n’ait fait aucune difficulté pour adhérer,
dès sa formation, au Comité de non-intervention.
Certes, le contexte international n’explique pas tout. Seul
pourtant il rend compte de la rapidité avec laquelle le faible parti
républicain de la petite bourgeoisie espagnole, laminé en juillet 1936 entre
les généraux révoltés et les travailleurs en armes, est parvenu à reconstruire
son État. Car c’est le contexte international qui a fourni aux véritables
artisans de cette reconstruction de l’État républicain, socialistes, et
communistes, et, dans une large mesure, anarchistes, leurs arguments les plus
efficaces en faveur de la « respectabilité » de l’Espagne, du respect de
la propriété et des formes parlementaires contre la révolution des Comités et
des collectivisations.
Les partisans de la restauration de l’État républicain
Les hommes d’État républicains ne semblent pas capables en
effet de mener le combat qui devrait être le leur. Ce sont les mêmes, anciens
ministres de Casares Quiroga, puis de Martinez Barrio, qui composent le
gouvernement Giral. Nous avons vu qu’ils s’efforcent de durer, d’assurer la
survivance d’une apparence de légalité. Mais ils sont incapables d’imposer leur
autorité, et les troupes révolutionnaires leur échappent complètement [162] .
Seuls les dirigeants ouvriers, dans la mesure où ils
tolèrent le gouvernement, empêchent sa disparition. Seuls, ils pourraient, par
leur prestige, redonner quelque autorité à un gouvernement légal. C’est ce qu’a
parfaitement compris Prieto. Il reste fermement persuadé, plus encore après la
révolution qu’avant, que l’Espagne a devant elle une longue période de
développement capitaliste normal. Les « outrances révolutionnaires »
compromettent toujours plus, à ses yeux, l’avenir du pays. La seule tâche
réaliste consiste pour lui en la construction d’un régime républicain solide
appuyé sur une armée forte : lui seul peut obtenir, contre les généraux et
leur alliés, l’aide des « démocraties » de Londres et de Paris. C’est
ainsi qu’il écrit dans El Socialista :« Nous espérons que l’appréciation
portée sur la révolution espagnole par certaines démocrates changera car ce
serait une pitié, une véritable tragédie, de compromettre ces possibilités (d’aide)
en accélérant le rythme de la révolution qui, pour le moment, ne nous conduit à
aucune solution positive ». Le souci de conserver la sympathie de l’Occident
l’amène à se déclarer dans une interview à Havas, le 2 septembre, « enchanté
que le gouvernement français ait pris l’initiative de ses propositions pour la
non-intervention. »
Véritable ministre sans titre, Prieto est cependant le
premier à se rendre compte de la gravité de la situation. Dans une interview à
Koltsov, le 26 août, il reconnaît franchement l’impuissance du gouvernement.
Comme avant la révolution, il pense que les socialistes doivent participer aux
responsabilités gouvernementales. Mais l’état d’esprit des masses est tel qu’il
va jusqu’à préconiser, sans hésitation, la formation d’un ministère dirigé par
son vieil adversaire Largo Caballero, le seul dont le nom et le prestige
pourraient faire naître la confiance populaire indispensable. « Mon
opinion sur lui est connue de tous. C’est un imbécile qui veut faire le malin.
C’est un désorganisateur et un pagailleur qui fait semblant d’être
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