La Révolution et la Guerre d’Espagne
séparer
la guerre de la révolution, morigène le Mundo obrero ,accuse le
P.C. d’accorder abri et protection à des réactionnaires. Cette opposition,
cependant, ne va pas très loin : le 23 juillet, Largo Caballero déclare à
Carlo Reichmann que la constitution d’un « gouvernement purement
socialiste » ne sera à l’ordre du jour qu’après la victoire sur l’insurrection.
Dans ses visites quotidiennes aux miliciens du front, dans son activité, à l’U.G.T.,
il apparaît plutôt comme un allié volontiers critique du gouvernement. Au
moment où ses troupes, dans tout le pays, participent à des
Comités-gouvernement, il ne semble avoir d’autre ambition que celle de rester
le tout-puissant secrétaire général de l’U.G.T.
Mais les défaites du mois d’août modifient profondément
cette attitude. A lui aussi, le problème de l’efficacité, celui du pouvoir,
semble se poser. Le 27 août, il exposera ses vues à Koltsov. Il n’a pas de mots
assez durs pour l’ « incurie » du gouvernement Giral, qu’il accuse de n’avoir
pas même la volonté de vaincre les rebelles et d’être composé de « gens
incapables, stupides et paresseux ». Il affirme : « Toutes les forces
populaires sont unies en dehors des cadres du gouvernement, autour des
syndicats socialiste et anarchistes... La milice populaire n’obéit pas au
gouvernement et, si les choses continuent plus longtemps, elle prendra
elle-même le pouvoir ». C’est dans cette perspective qu’il critique,
désormais, ce qui a été sa propre carence : « Les partis ouvriers
doivent balayer au plus vite les bureaucrates, les fonctionnaires, le système
ministériel de travail et passer à de nouvelles formes révolutionnaires de
direction. Les masses tendent les mains vers nous, elles exigent de nous une
direction gouvernementale, et nous, passivement, nous nous dérobons devant
cette responsabilité, et nous ne faisons rien » [168] .
Ainsi, à travers les paroles de Largo Caballero au
journaliste russe, se dessine une autre conception du pouvoir, opposée à celle
de Prieto, celle d’un « gouvernement ouvrier » rompant avec la
légalité et les formes républicaines de l’État.
Les anarchistes face au pouvoir
C’est la première fois dans l’histoire que les anarchistes
sont en mesure de jouer un rôle aussi important : en fait, au moins en
Catalogne, tout dépend d’eux. Mais la confrontation de leurs idées avec la
réalité sociale est brutale. Adversaires résolus de l’État qu’ils considèrent
comme la forme d’oppression par excellence, les anarchistes ont toujours refusé
de faire une distinction entre un État « bourgeois » ou un État
« ouvrier » du type de l’État russe né des soviets en 1917. Or, l’effondrement
de l’État républicain en juillet a créé un vide que l’action spontanée des
militants de la C.N.T. a contribué à combler par la création d’un embryon d’État
nouveau, celui des Comitésgouvernement. Les nécessités de la guerre commandent
impérieusement : il faut un pouvoir et aucun anarchiste ne préconise
sérieusement la Fédération des Communes libres.
Le mouvement anarchiste en Espagne n’en est cependant plus à
la première révision de ses principes. La participation massive de ses militants
aux élections de février, réaction contre les vaines et sanglantes tentatives d’insurrection
« failliste » des années 30, est contraire à ses traditions et à sa
doctrine et constitue déjà une importante concession à un nouveau courant
réformiste, proche du « trentisme », qui se développe dans ses rangs. Des
groupes de la F.A.I. aux syndicats de la C.N.T., d’une région, d’une localité à
l’autre, les réactions anarchistes ont varié au cours des journées décisives. A
Madrid, la C.N.T. s’est placée à l’avant-garde de la lutte pour la révolution
dans les semaines qui ont précédé l’insurrection, tandis que la C.N.T.
catalane, contre la menace du pronunciamento, s’alliait en fait au gouvernement
Companys. Au lendemain des journées révolutionnaires, les responsables
libertaires ont eu de vives discussions : allaient-ils ou non prendre le
pouvoir ? Au Comité régional de la C.N.T., c’est la thèse défendue par Garcia
Oliver qui l’a emporté, rejetant, pour l’immédiat « le communisme libertaire
qui signifie la dictature anarchiste », se ralliant à « la démocratie qui
implique la collaboration » [169] .
La
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