La Révolution et la Guerre d’Espagne
solution catalane – la constitution du Comité des milices
aux côtés de la Généralité – est, par la force des choses, en compromis entre
leurs principes et les nécessités de l’heure. Pourtant, nous l’avons vu, le
Comité central est vite devenu un deuxième pouvoir. Ce sont des libertaires qui
le contrôlent, animent ses principales commissions assument les responsabilités
les plus importantes. Il en est de même dans les Comités-gouvernement locaux.
Cette réalité semble démentir les affirmations publiques des dirigeants de la
C.N.T. Longtemps, on croit à Barcelone que leur hostilité de principe à toute
forme d’État ou de pouvoir, fussent-ils révolutionnaires, ne résistera pas à l’élan
victorieux qui, les pousse après les journées de juillet. On croit qu’ils n’ont
toléré que par prudence la survivance de la Généralité, mais qu’ils travaillent
à son « extinction silencieuse ». On répète qu’ils n’attendent que la chute de
Saragosse pour liquider le pouvoir républicain en Catalogne et en Aragon.
A Madrid, dans le partage du pouvoir, la C. N. T. s’est
attribué une part respectable : elle a sa police, sa « tchéka », ses
partisans et surtout ses colonnes, véritable armée indépendante. La
collaboration avec les autres partis et syndicats est réduite au minimum. Mais
cette situation, non plus, ne peut se prolonger : la survivance du
gouvernement, le danger qui pèse sur la capitale posent le problème du pouvoir.
La C.N.T. madrilène propose la constitution d’une « Junte nationale de
défense » composée de représentants de la C.N.T. et de l’U . G.T.,
excluant les dirigeants républicains. A l’échelon local et régional, des juntes
semblables, « incarnation de l’élan révolutionnaire » constitueraient
le lien, l’organismo aglutinante qu’il leur paraît impossible de ne pas
établir : en fait, la pyramide des Comités-gouvernement serait couronnée
par un pouvoir unique, à leur image. Tout en maintenant leur hostilité aux
« formes démocratiques et bourgeoises de gouvernement », les
anarchistes semblent prêts à constituer, sous la pression des nécessités de l’heure,
un organisme qui serait, même s’il n’en portait pas le nom, un véritable «
gouvernement ouvrier. »
C’est en tout cas l’appréciation que porte le P.O.U . M.
sur l’évolution de la C.N.T. Pour ce parti, qui se réclame des idées de Lénine
sur la dictature du prolétariat, il n’y a pas de place, dans l’Espagne de 1936,
pour une république démocratique bourgeoise. Le conflit se place entre le
fascisme et le socialisme. Pour lui, il ne s’agit plus de former un
gouvernement de Front populaire, mais « un gouvernement ouvrier décidé à
mener à son terme la lutte contre le fascisme et à donner le pouvoir à la
classe travailleuse, dans ses différents partis et syndicats, et à elle seule
». Dans un meeting à Barcelone, le 6 septembre, Andrès Nin affirme : « La
dictature du prolétariat signifie l’exercice du pouvoir par la classe ouvrière.
En Catalogne, nous pouvons affirmer que la dictature du prolétariat existe déjà.»
Il s’agit donc, à ses yeux, de constituer, pour toute l’Espagne, un «
gouvernement ouvrier » à l’image du Comité central et du Comité exécutif
populaire. Ce gouvernement devrait avant tout « affirmer son intention de
transformer l’élan des masses en légalité révolutionnaire et de le diriger dans
le sens de la révolution socialiste ».
Aussi le P.O.U.M. se réjouit-il que l’« instinct
révolutionnaire » de la C.N.T. l’ait emporté sur son apolitisme
traditionnel et son hostilité de principe à tout gouvernement [170] . Le mot d’ordre
des Juntas lui parait répondre aux nécessités du moment, celle de la
guerre et celle de la révolution : en le lançant, les anarchistes ont,
selon lui, fait un pas vers la conception marxiste du pouvoir. Ainsi, de Largo
Caballero à Andrès Nin en passant par la C.N.T., une conception identique
semble se dégager : celle d’un gouvernement révolutionnaire des partis et
syndicats ouvriers.
La formation du gouvernement Largo Caballero
Or, le 4 septembre, un bref communiqué annonce la démission
de Giral et la constitution d’un nouveau gouvernement de Front populaire,
présidé par Largo Caballero. Giral a lui-même demandé à Azaña de lui désigner
pour successeur le secrétaire général de l’U.G.T. Telle est la version,
officielle.
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