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La Ronde De Nuit

La Ronde De Nuit

Titel: La Ronde De Nuit Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Modiano
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pas, mon petit. Je sais, les temps sont tristes. Les gangsters tiennent le haut du pavé. Il y a une odeur de pourriture dans l’air. Cela ne durera pas. Ayez de la force d’âme, Lamballe. » Il veut que je reste rue Boisrobert mais je m’invente aussitôt un vieil oncle en banlieue qui m’accordera l’hospitalité. Nous convenons d’un rendez-vous, demain après-midi, place des Pyramides, devant la statue de Jeanne d’Arc. — Au revoir, Lamballe. Il me regarde fixement, ses yeux rétrécissent et je ne peux soutenir leur éclat. Il répète : « Au revoir LAM - BALLÉ  » en appuyant d’une drôle de façon sur les deux syllabes : LAM - BALLE . Il referme la porte. Le soir tombait. J’ai marché au hasard dans ce quartier inconnu. On devait m’attendre square Cimarosa. Que leur dirais-je ? En somme, le lieutenant Dominique était un héros. Tous les membres de son état-major aussi… Il a bien fallu, quand même, que je fasse un rapport circonstancié au Khédive et à Monsieur Philibert. L’existence du R.C.O. les a surpris. Ils ne s’attendaient pas à une activité de cette envergure. « Vous allez vous infiltrer là-dedans. Tâchez de savoir les noms et les adresses. Un beau coup de filet en perspective. » Pour la première fois de ma vie, j’ai éprouvé ce qu’on appelle un cas de conscience. Très passager d’ailleurs. Ils me versèrent cent mille francs d’acompte sur les renseignements que je leur fournirais.
    Place des Pyramides. Vous voudriez oublier le passé mais votre promenade vous ramène sans cesse aux carrefours douloureux. Le lieutenant faisait les cent pas devant la statue de Jeanne d’Arc. Il me présenta un grand garçon blond, cheveux ras, yeux pervenche : Saint-Georges, saint-cyrien. Nous entrâmes aux Tuileries et nous assîmes à la buvette, près du manège. Je retrouvais le décor de mon enfance. Nous commandâmes trois jus de fruits. Le serveur les apporta en nous disant qu’ils étaient les derniers d’un stock d’avant-guerre. Bientôt, il n’y aurait plus de jus de fruits. « On s’en passera », dit Saint-Georges avec le sourire. Ce jeune homme m’avait l’air bien résolu. « Vous êtes un prisonnier évadé ? me demanda-t-il. Quel régiment ? — 5 e d’infanterie, lui répondis-je d’une voix blanche, mais je préfère n’y plus penser. » Je fis un gros effort sur moi-même et ajoutai : « Je n’ai qu’un désir : poursuivre la lutte envers et contre tout. » Ma profession de foi parut le convaincre. Il me gratifia d’une poignée de main. « J’ai réuni quelques membres du réseau pour vous les présenter, mon cher Lamballe, déclara le lieutenant. Ils nous attendent, rue Boisrobert. » Il y a là Corvisart, Obligado, Pernety et Jasmin. Le lieutenant parle de moi en termes chaleureux : la tristesse que j’éprouvais après la défaite. Ma volonté de reprendre la lutte. L’honneur et le réconfort d’être à partir d’aujourd’hui leur compagnon au R.C.O. « Eh bien, Lamballe, nous allons vous confier une mission. » Il m’explique que plusieurs individus ont profité des événements pour laisser libre cours à leurs mauvais instincts. Rien de plus naturel dans une époque de troubles et de désarroi comme la nôtre. Ces malfrats jouissent d’une impunité totale : on leur a distribué des cartes de police et des permis de port d’armes. Ils se livrent à une répression odieuse contre les patriotes et les honnêtes gens, commettent toutes sortes de délits. Ils ont réquisitionné un hôtel particulier, 3 bis , square Cimarosa, XVI e arrondissement. Leur service se nomme dans le public Société Inter commerciale de Paris-Berlin-Monte-Carlo. « Ce sont les seuls éléments dont je dispose. Notre devoir : les neutraliser le plus vite possible. Je compte sur vous, Lamballe. Vous allez vous introduire chez ces gens-là. Nous renseigner sur leurs faits et gestes. À vous de jouer, Lamballe. » Pernety me tend un verre de cognac. Jasmin, Obligado, Saint-Georges et Corvisart me sourient. Un peu plus tard, nous remontons le boulevard Pasteur. Le lieutenant a voulu m’accompagner jusqu’à la station de métro Sèvres-Lecourbe. Au moment de nous quitter, il me regarde droit dans les yeux : « Mission délicate, Lamballe. Double jeu en quelque sorte. Tenez-moi au courant. Bonne chance, Lamballe. » Et si je lui disais la vérité ? Trop tard. J’ai pensé à maman. Elle au moins se trouvait en lieu sûr.

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