La rose de Raby
douze ans, quand commença la guerre sanglante entre les York et les Lancastre. La duchesse Cécile n'était pas seulement l'épouse de Richard, mais aussi sa confidente la plus proche et sa conseillère.
—
Et Atworth devint le gardien de sa conscience et le dépositaire de ses secrets?
—
En un mot, oui.
—
Mais Atworth est retourné à Dieu. Je comprends le chagrin de la duchesse, aussi...
—
La duchesse Cécile ne croit pas qu'Atworth soit mort de mort naturelle.
—
Ce pourrait être seulement l'égarement d'une femme affligée, un refus d'accepter l'inévitable.
—
Ce n'est pas cela, non. Voyez-vous, la duchesse et frère Roger correspondaient souvent.
—
J'espère que la duchesse était prudente dans ce qu'elle écrivait?
—
Oh, elle l'était, oui, confirma Venables. Ils n'échangeaient que des lettres de vieux amis.
—
Cependant, Roger Atworth était son confident? A-t-on rendu ses lettres à la duchesse? interrogea Kathryn.
—
Non, elles ont disparu. Atworth les gardait dans une grande bourse qu'il portait accrochée à la corde de sa robe.
Venables tapota sa ceinture de guerre avant de poursuivre :
—
Quand on a découvert le corps d'Atworth, la bourse n'était plus là.
—
Ces missives contenaient-elles quoi que ce soit de compromettant?
Venables fit la grimace.
—
Je l'ignore, Maîtresse; la duchesse ne me le dira pas.
—
Mais il y a davantage ?
—
Oui. On a retrouvé frère Roger Atworth mort le matin de l'Annonciation, le 25 mars. D'après le prieur Anselm, il s'était senti malade la veille et n'avait pas quitté sa cellule. Or frère Roger avait écrit à la duchesse au début de mars, le jour de la fête de saint David de Galles. Il promettait d'écrire de nouveau, plus tard dans le mois, pour la Saint-Joseph, le 19 mars, et d'envoyer son courrier à Islip. La lettre n'est pas arrivée.
Posant les bras sur la table, Kathryn fixa une tache de vin : elle avait la forme d'une tête de loup.
—
Cependant, le corps de frère Roger ne portait pas de trace de violence.
Vous avez entendu les récits? demanda Kathryn. Les stigmates, la merveilleuse odeur. Êtes-vous sûr que ce n'est pas le chagrin qui fait parler ainsi la duchesse? Les frères du Sac ont leur propre médecin, et il n'a rien découvert d'anormal.
Kathryn leva les yeux et poursuivit :
—
C'est la raison pour laquelle la duchesse Cécile tient tant à cette béatification. Elle veut qu'on exhume le corps d'Atworth afin de le faire examiner par un médecin indépendant, n'est-ce pas? Le roi connaît Colum Murtagh, et il me connaît aussi. Dame Cécile a sûrement convaincu son fils.
Venables hocha la tête.
—
Et dites-moi, monsieur, pourquoi voudrait-on tuer Roger Atworth, un vieux religieux enfermé derrière les murs d'un couvent?
—
Atworth mena une vie très intéressante, répliqua Venables. Pendant ses campagnes en France, lorsque les armées du Dauphin, sous le commandement de la Pucelle, commencèrent à reconquérir la Normandie, il fut capturé par un noble français assez funeste, le vicomte de Sanglier, qui le garda prisonnier dans son cachot et lui infligea des traitements barbares.
Atworth subit des tortures cruelles, on brûla sa chair au fer, on l'immergea dans de l'eau glacée.
—
Pourquoi ? interrogea Kathryn.
—
C'est qu'Atworth était à la tête d'une troupe mercenaire. Les Français avaient publié un édit aux termes duquel tous les soldats anglais capturés sous la bannière rouge et or de ces troupes seraient torturés et sommairement exécutés. Pour une raison inconnue, Sanglier garda Atworth vivant. Au bout d'un certain temps, il le libéra et commença à le traiter en hôte honorable.
—
Quelle en était la raison ?
—
La duchesse Cécile ne l'a jamais su. D'après ce qu'on dit, Atworth, feignant d'être malade, réussit à s'échapper. La duchesse Cécile croit que le changement de vie d'Atworth date de son emprisonnement.
—
Mais lorsqu'il fut capturé, il était soldat, pas religieux ou confesseur de la reine mère?
Venables étala du doigt de la bière répandue sur la table.
—
Avez-vous jamais entendu parler des Écouteurs, Maîtresse Kathryn?
—
C'est un mot français, n'est-ce pas?
Venables sourit.
—
Vous êtes experte en langues ?
—
Non, répliqua Kathryn, mais nous avons des exilés français à Cantorbéry. Enfant, j'étais bonne élève.
—
Les Écouteurs, expliqua Venables, sont les espions de Louis XI.
Weitere Kostenlose Bücher