La rose de Raby
qu'il faisait allusion à la duchesse, et pour lui, ces secrets étaient en rapport avec ce dont il avait peur.
Kathryn jeta un coup d'œil à Eadwig qui, assis contre un arbre, mangeait avec entrain. La lumière du matin semblait avoir perdu de son éclat. Kathryn n'était pas rassurée, non seulement pour elle, mais pour Mathilda.
— Poursuivez, la pressa-t-elle.
—
Atworth disait que d'autres auraient bien aimé connaître ce qu'il savait.
— Qui? Mentionna-t-il jamais les Français?
—
Il m'a parlé de son emprisonnement en France. Quelqu'un du nom de San... San...?
— Sanglier? suggéra Kathryn.
—
Cela même, oui. L'homme l'avait traité très cruellement, on l'avait brûlé au fer rouge.
— Le saint Atworth redoutait-il la mort?
La femme éclata d'un rire brusque, comme un glapissement.
—
Je lui ai posé la question moi-même. Parfois, Maîtresse, quand je suis emmurée là-bas — elle indiqua la cellule d'un geste —, la mort ne paraît plus aussi horrible et devient plutôt comme un vieil ami pressé de vous rendre visite. Atworth éprouvait la même chose, il assurait que si ce n'était pas un si grand péché, il se supprimerait lui-même.
— Dans ce cas, de quoi avait-il si peur?
—
De ceux qui voulaient connaître ses secrets. Il craignait qu'ils ne viennent le chercher.
Kathryn ferma les yeux et sourit. Elle avait trouvé. Il devait y avoir un lien entre Atworth et le meurtre de Mafiach.
—
Il ne disait pas qui c'était, reprit Mathilda en j choisissant ses mots, mais quand je l'ai interrogé, il s'est contenté de déclarer que c'étaient ceux qui avaient le pouvoir. Il affirmait qu'il avait assassiné un homme.
— Mais je croyais qu'il en avait tué beaucoup ?
—
Oui, Maîtresse, mais ce meurtre-là apparemment le hantait.
— Redoutait-il un acte de vengeance ?
—
Non, il prétendait qu'il souffrait à cause de ce qu'il avait fait.
— Tout va bien? appela Eadwig.
— Parfaitement.
Kathryn entoura de son bras les épaules de Mathilda. Celle-ci dégageait une odeur plutôt forte, et sa chemise était sale et élimée. La jeune femme éprouva un élan de compassion en sentant son ossature maigre et voûtée.
La veuve leva les yeux et sa main glissa lentement pour se poser sur la cuisse de Kathryn, comme aurait fait un enfant avec sa mère.
—
N'est-ce pas étrange? dit-elle. Atworth, le saint, le confesseur de la duchesse et de Dieu sait qui d'autre, qui se confie à Mathilda Chandler.
Savez-vous, Maîtresse, lorsqu'il me parla, ce jour-là, il avait réellement peur.
Quels secrets détenait-il, Dieu seul pourrait le dire. Je lui ai demandé de s'en ouvrir à moi, il a secoué la tête et affirmé haut et fort que, lorsqu'il me parlait, il m'entendait en confession; il faisait toujours semblant de me donner l'absolution et esquissait un signe de croix dans l'air. En plusieurs occasions, il m'a même apporté le viatique. Il me fit jurer le secret, et si je romps mon serment maintenant, c'est parce que je pense qu'il vous aurait appréciée.
Kathryn s'efforça de calmer son excitation.
—
Vous voulez connaître les secrets? demanda Mathilda avec une lueur rusée et perspicace dans les yeux. Dieu peut en témoigner, Atworth ne me les a jamais dits. D'après lui, s'il le faisait et que d'autres l'apprennent, on me tuerait à coup sûr. C'est chose facile. La condamnation dont j'ai fait l'objet stipule que, si je quitte le monastère du Sac, on peut m'abattre sur-le-champ.
Kathryn fit sauter les miettes tombées sur sa robe.
—
Atworth est-il jamais revenu sur ce sujet?
—
Non, mais j'ai remarqué que cette année, et en tout cas durant les derniers mois de sa vie, il avait perdu sa sérénité; il se montrait mal à l'aise et nerveux, et se plaignait que ses maux de ventre empiraient.
—
Et sa mort? pressa Kathryn.
—
Comme je vous l'ai dit, j'étais au courant.
—
Il est décédé le jour de la fête de l'Annonciation, n'est-ce pas ?
—
C'est ce qu'on dit. Or des choses très singulières s'étaient produites la nuit précédente.
Mathilda Chandler avait, semblait-il, décidé de tout révéler à Kathryn.
—
Les deux jours avant la mort du bienheureux Roger furent très étranges.
Vous parliez de gens qui allaient et venaient dans ce petit bois. Pendant ces deux jours j'ai entendu davantage de mouvement que jamais auparavant : un grincement comme si on ouvrait une porte, puis des gémissements laissant penser que
Weitere Kostenlose Bücher