La Rose de Sang
sur ses traits.
— La
déesse cruelle ! murmura-t-il.
Un cri retentit.
— Je
veux l'Inca vivant, bande d'idiots !
C'était Pizarro qui
accourait au milieu de l'hécatombe. Le capitaine craignait que ses hommes
n'aient tué l'Inca.
Enjambant les
cadavres qui jonchaient le gravier sanglant, Pizarro bondit vers Zéphyrine.
— Vous
êtes moins bête que les autres, gronda le conquistador en guise de
remerciement.
Il jeta un coup de
botte à Piccolo et à Pando-Pando, saisit l'Inca par la chevelure et le traîna
vers l'intérieur du palais. Hernando de Soto avait mis pied à terre.
— Vous
n'avez rien, Madame ? s'enquit-il, inquiet du visage marqué de taches de sang
de Zéphyrine.
Elle s'essuya du
revers de la main.
— Non,
capitaine, tout va bien... si je puis dire.
Elle jeta un regard
écœuré sur la boucherie. Les habitants de Cajamarca se débandaient. Les troupes
de l'Inca qui avaient échappé au massacre s'enfuyaient
dans les montagnes.
Ceux qui auraient
dû descendre attaquer étaient restés sur les pics, frappés de stupeur.
Zéphyrine restait
hébétée sur la place sanglante. En quelques minutes,
le monde avait basculé.
Un hurlement
retentit. C'était demoiselle Pluche qu'un Espagnol ramenait triomphalement. Il
croyait avoir pris un grand chef.
— Arrêtez,
crétin, c'est ma duègne ! cria Zéphyrine. Elle ôta le bonnet de la pauvre
Arthémise, plus morte que vive. Devant le chignon poivre et sel de la digne
demoiselle, le conquistador maugréa et courut rejoindre ses compagnons.
Maintenant, c'était
le pillage. Les soldats entraient dans toutes les maisons et s'emparaient des
trésors incas.
— Madame...,
fit Soto. En remerciement, le capitaine Pizarro vous invite à souper !
Zéphyrine crut
avoir mal entendu.
— Que
dites-vous, señor de Soto ?
— Francisco
Pizzaro serait heureux de vous avoir à sa table ! « Mais, ce sont des
monstres... ! » pensa Zéphyrine en suivant
Soto à l'intérieur
du palais.
Elle mit demoiselle
Pluche et Pando-Pando sous la garde de Piccolo dans un cabinet et rejoignit les
conquérants.
Au milieu des
cadavres qui jonchaient encore la salle du palais, Pizarro avait fait dresser
un somptueux festin [131] .
Parmi ses invités, il y avait, outre Zéphyrine, ses trois frères, Soto, la
princesse Nazca Capac, sœur de l'Inca, et Atahualpa lui-même.
Les traits ravagés
par la fatigue, le souverain déchu essayait de conserver sa dignité. Zéphyrine
le plaignait. La gorge serrée, elle ne pouvait rien avaler. C'était un repas de
cauchemar.
Pizarro, très gai,
faisait des roucoulades pour la princesse inca qu'il avait rebaptisée « doña
Inés ».
Zéphyrine,
suffoquée, se rendait compte que la sœur d'Atahualpa n'était pas indifférente
au charme de brute du conquistador.
Au dessert, Pizarro
attaqua l'Inca.
— La
situation est très simple, Monseigneur. Vous retenez à Cuzco votre frère
Huascar prisonnier, vous êtes ici à Cajamarca notre
prisonnier. Mais nous, les Espagnols, sommes prêts à vous reconnaître prince de
votre pays plutôt que Huascar... Pour prix je votre liberté, que pourriez-vous
me donner comme or?
Zéphyrine
pressentait que ce qui troublait le plus Atahualpa était cette menace latente
de Pizarro : « Si vous n'êtes pas coopératif, je reconnais votre frère Huascar roi des
Incas... »
Atahualpa se mit
debout. Il leva le bras au-dessus de sa tête.
— Or...
haut comme ça !
— Un
bloc de six pieds..., pas mal, fit Pizarro. Marché conclu.
Pizarro pointa un
doigt vers le collier d'émeraudes et la plaque d'or d'Atahualpa.
— Pour
commencer, en gage d'« amitié », il faut m'offrir cette babiole.
Le collier de
l'Inca changea de cou.
Pizzaro, enchanté,
serra la main de l'Inca. A l'expression dégoûtée de ce dernier, Zéphyrine vit
qu'il était marqué par ce geste infâme.
Le repas touchait à
sa fin. Francisco Pizarro, après l'avoir salué, fit emmener l'Inca dans une
tour du palais rapidement transformée en « bonne » prison.
— Princesse
Zéphyrine, je vous ai mal jugée. Grâce à votre sang-froid, l'Inca est vivant et
va bien nous servir pour mater toute cette racaille. J'aimerais vous remercier.
Que désirez- vous ? fit Pizarro.
Le collier de
l'Inca flamboyant sur son armure, il désignait le butin que rapportaient
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