La Rose de Sang
Il
t'attend à Cajamarca, Diego.
— C'est
moi qui ai fait le plus gros travail, j'ai débarqué le premier et je suis
toujours lésé, se plaignait Almagro.
La conversation
roula sur ce sujet. Zéphyrine sentait que Diego de Almagro vouait une jalousie
mortelle à Pizarro. Zéphyrine eut le sombre pressentiment que les capitaines,
un jour, se massacreraient entre eux [134] .
— Il faut que je
reprenne ma route... J'ai retrouvé Notre amie doña Maria à Cuzco, elle m'a beaucoup aidé... Ah! avant de partir, j'ai vu l'Inca Huascar
prisonnier des fidèles de son frère... Il espère que nous allons le libérer!
Occupe-toi de cela, Hernando !
Almagro quitta Soto
sans avoir vu Zéphyrine. La colonne reprit sa route au sud. Parfois, de petits
groupes d'Indiens harcelaient les éclaireurs. Mais il s'agissait de guerriers
isolés. Dans les villages, le gros du peuple regardait passer avec frayeur et
admiration les « dieux blancs barbus qui crachaient le feu ». Pour ajouter à
cette légende, les Incas ralliés à la cause des Espagnols racontaient dans les
villages la « soumission » d'Atahualpa.
Au fur et à mesure
que Zéphyrine descendait vers le sud sur cette superbe voie royale, la « route
de l'Inca », construite en mortier, assortie de gradins pour franchir les
montagnes, et de ponts suspendus pour traverser les fleuves, son admiration
envers le peuple inca faisait place à la désolation. Cet empire ressemblait
maintenant au corps décapité d'un géant.
Ayant perdu leurs
souverains, les Incas étaient incapables de décider par eux-mêmes d'attaquer
soixante éclaireurs étrangers !
La route passait
par Huamachuco, Vicosas, Cuzco, avant de filer vers le lac Titicaca.
Hernando de Soto
accréditait l'idée qu'il se rendait à Cuzco pour délivrer l'Inca Huascar et le
mettre sur le trône à la place d'Atahualpa.
Obsédée par les
mots mystérieux de l'Inca sur 1'« enfant prédestiné » et par l'idée d'arriver
au plus vite, Zéphyrine n'en voulait pas au capitaine de répandre ces faux
bruits.
Une immense
tendresse la liait au conquistador. Elle était touchée par son amour. Fidèle à
sa promesse, Hernando de Soto la respectait et la protégeait. Il était le frère
dont elle avait toujours
rêvé, mais Zéphyrine était trop féminine pour savoir que cette chaste situation ne
pourrait durer longtemps.
Les
habitants de Cuzco se massaient sur le passage des Espagnols. Un mot, un geste
et la foule pouvait massacrer la colonne.
Pour
impressionner la population, les cavaliers caracolaient, faisaient cabrer leurs
chevaux. Les soldats tiraient des coups d'arquebuse en l'air.
Demoiselle
Pluche serrait sa monture contre celle de Zéphyrine. Piccolo, à pied, s'était
rapproché de Pando-Pando.
Les
Espagnols n'avaient pourtant rien à craindre, le bruit s'était bien répandu que
les dieux blancs venaient délivrer Huascar.
La
cité était divisée en deux moitiés : Hanan Cuzco et Hurin Cuzco... « La ville
haute et la ville basse », expliqua Pando- Pando qui était devenu le guide et
interprète de l'expédition.
A
la demande de Soto, il conduisit les conquérants parmi les rues pavées, les
murailles grises, les temples recouverts de plaques d'or, les palais incrustés
de pierreries, les maisons en briques d'argile rose, vers le nord de la cité.
Sacsahuâman,
forteresse fidèle à Atahualpa, dressait sa masse sombre sur une colline.
Zéphyrine
frissonna. L'endroit était lugubre. Trois enceintes concentriques enserraient
trois tours carrées dont l'une était plus élevée que les autres.
Pour
marquer sa prédominance, Soto fit « cracher le feu du ciel », c'est-à-dire
tirer trois boulets en l'air. La manœuvre fit merveille. Les portes de la
citadelle s'ouvrirent sur un officier emplumé, breloques aux oreilles. C'était
un capitaine général de sang impérial. Suivi de ses gardes, il vint s'incliner
devant le « dieu blanc ».
— Que peut faire le serviteur pour satisfaire Viracocha ?
— D'ordre de l'Inca Atahualpa, conduis-moi à Huascar! ordonna
Soto.
— Je voudrais aller avec vous, chuchota Zéphyrine.
Hernando
de Soto lui caressa la joue.
— Oui, mais ne te fais pas remarquer, divine Zéphyrine.
Chaque
jour, il était plus amoureux et ne savait rien lui refuser. Zéphyrine mit pied
à terre. Avec Hernando, deux lieutenants castillans et Pando-Pando, elle suivit
le capitaine général inca dans la
Weitere Kostenlose Bücher