La Rose de Sang
vision de Zéphyrine. Sa voix s'éleva, sèche :
— Don
Ramon, nous donnons l'ordre... à toute ma flota, de capturer, morts ou vifs,
ces maudits Français, Jean Fleury ainsi que ce Jean Ango.
Don Ramon fit un
pas en avant.
— Ce
sera difficile pour ce dernier, Sire, il ne quitte pas Dieppe, en France ; à
moins de faire le siège de la ville...
— Ramenez-moi
d'abord Jean Fleury..., ce voleur... Pour Ango, nous aviserons plus tard...
Quant à vous, Cortés, je vois qu'on... qu'on m'a mal parlé de vous... Nous
vous... donnons le titre de marquis... de la vallée de... O... O...
— Oaxaca,
acheva don Ramon.
— C'est cela... Re...
retournez en... en Nouvelle-Espagne, Cortés... Reconstruisez une belle ville
espagnole ! Do... donnez- lui... un nouveau nom... Mejor [28] ...
Méjico... Mexico.. .Qu'en... qu'en dites-vous, Cortés? Ce... cela
sonne bien...
— Magnifiquement,
Sire. Mais, Votre Majesté me permet- elle de lui proposer... Ciudad Carlos el Grande...
L'énigmatique
souverain ne devait pas aimer la flatterie. Zéphyrine le vit se détourner du
conquistador pour aller vers sa table de travail. Sans plus s'occuper de son
visiteur, il se plongea dans un dossier tout en faisant un geste de la main.
— Nous avons dit Mexico... Venez saluer la reine à Tolède, Cortés et... n'ou...
n'oubliez pas... Nous voulons ce da... damné Français !
L 'audience était
terminée. Cortés se releva. Don Ramon l'entraîna vers une porte dérobée.
Zéphyrine en profita pour retourner s'asseoir à
sa place. Sans se regarder, le bourgeois et les deux officiers firent de même.
Don Ramon revenait. Il s 'approcha de la jeune femme.
— C'est
à vous, Madame.
L 'instant
d'approcher l'empereur, si furieux contre les Français, était bien mauvais
pour Zéphyrine.
Plus morte que
vive, elle se leva et suivit don Ramon dans l'antre de l' « ogre »...
Chapitre XI
FACE A FACE
A l'entrée de
Zéphyrine, l'homme qui était assis devant la lourde table de bois noir ne
releva pas la tête.
Ce travailleur
acharné relisait un parchemin avec une profonde attention. Zéphyrine retrouvait
dans ce modeste scribe l'homme qui faisait trembler l'Europe : Charles Quint.
Tête baissée, elle
fit une grande révérence de cour. Comme rien ne venait, elle se releva et
attendit un signe du maître. Devant la modestie de la pièce, elle aurait pu se
croire dans le bureau d'un clerc tonsuré [29] . A part le grésillement de trois
chandelles sur un chandelier de bronze et le balancier de l'horloge, aucun
bruit ne parvenait plus à Zéphyrine.
Le jeune homme vêtu
de noir, maître de l'Espagne, des Flandres, d'Autriche, d'Allemagne, et des
nouvelles colonies, trempa une plume d'oie dans un encrier, il entreprit de
barrer soigneusement certains mots sur le parchemin avant de le signer et de le
cacheter à la cire.
Zéphyrine se
demandait si elle allait rester toute la nuit debout devant le roi. Au moment
d'affronter l'ennemi, elle n'avait plus peur.
Deux heures
sonnaient. Zéphyrine poussa un soupir. Elle osa toussoter. Ne voyant aucune
réaction chez l'empereur, elle éternua carrément.
L'index de Charles
Quint se leva du parchemin. Ce devait être un code compris de don Ramon, car ce
dernier fit un pas en avant.
— Madame
de Bagatelle apporte un message de Son Altesse Royale, la duchesse d'Alençon,
Sire...
Le majeur du roi se
dressa à son tour. Don Ramon vint prendre le parchemin. Il
s'inclina et sortit du cabinet en laissant retomber la portière
derrière lui.
Zéphyrine aurait dû trembler de se trouver seule
avec son adversaire . Elle en éprouva du soulagement. La main de Charles
Quint reposa la plume d'oie. Avec lenteur, l'empereur releva la tête.
De ses yeux
légèrement bridés recouverts de lourdes paupières, il considéra Zéphyrine. De
son côté, elle nota la difformité de sa bouche, héritage des Habsbourg;
pourtant un charme certain émanait du visage ingrat de ce jeune souverain.
Zéphyrine replongea
dans une profonde révérence.
— Que...
quelles nou... nouvelles, Ma... Madame, de notre frère bien-aimé? interrogea
l'empereur avec quelque difficulté.
— Mon
auguste maîtresse, Sire, commença Zéphyrine avec une certaine grandiloquence...
m'a chargée de l'honneur de dire à Votre Majesté Royale et Impériale que, sitôt
son départ, le roi de France, réconforté par
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