La Rose de Sang
coquetterie, il essaya de revenir.
Zéphyrine le repoussa avec vigueur. Elle roula sur le côté pour se mettre
debout. Réajustant les guimpes sur ses seins, elle déclara nettement :
— Je suis venue vous demander de m'aider à retrouver Luigi et
Fulvio...
Avec
une mauvaise humeur évidente, Mortimer se leva à son tour. Il fit le tour de la
pièce, passa sur ses haut-de-chausses et sa braguette proéminente un pourpoint
sans manches à longues basquines, destiné sans doute à cacher son état de
taureau furieux. Un peu calmé, il revint vers Zéphyrine.
— Mais, mon pauvre amie... Que pouis-je faire?
— Vous êtes ministre plénipotentiaire. Vous avez un pouvoir que
je ne possède pas. Vous pouvez exiger de Charles Quint qu'il vous dise s'il
garde Fulvio et dans quelle geôle. Vous pouvez réclamer Luigi et ordonner, au
nom de votre roi, que Fulvio a grandement servi, qu'on vous les rende tous les
deux... Je suis sûre qu'on me ment et que « Charles qui triche » sait tout.
— My God... Exiger... rende... Mais, vous rêvez, mon pauvre
Zéphyrine, je souis... very sorry, je aurai aimé rendre service à vous, mais je
pouvoir rien sur l'empereur. On dirait vous pas connaître Charles Quint, c'est
du airain! Darling, je jure je ai pris renseignements, Fulvio loui mourir en
Sicile, votre baby aussi... Je savoir, c'est très triste... Epousez-moi,
darling chérie... Je ai les plous beaux castles du Sussex et de Cornouailles
avec six mille moutons...
«
Tiens, le nombre avait augmenté ! »
— Vous être très heureux avec moi, Zéphyrine, darling...
Zéphyrine
avait tourné les talons. Elle dévalait déjà l'escalier.
La
déception se mêlait à la rage et à la vexation.
— Sale lâche d'Anglais ! dit-elle, tandis que Piccolo l'aidait
à s'asseoir sur sa mule.
— Sot ! Souci ! Sourire ! croassa Gros Léon.
Zéphyrine,
accablée, se rendit compte que Gros Léon avait raison. La « femme la plus
intelligente » de sa génération était devenue une petite sotte ne sachant plus
profiter de sa supériorité physique et intellectuelle.
— Où allons-nous, Principessa ? interrogea Piccolo.
— Au palacio San Lorenzo !
Tout
en cheminant, Zéphyrine ne dit mot. Elle était mécontente d'elle-même, estimant
avoir mal manœuvré avec Mortimer.
Le soleil de midi était haut
dans le ciel lorsque Zéphyrine passa devant la Torre de Lujanes puis s'arrêta à
la lourde porte cloutée du palacio pour sa deuxième invitation à
dîner.
— Le
señor Hernán Cortés, chevalier de Santiago, nous attend ! lança Zéphyrine.
Gros
Léon sur l'épaule, elle pénétra dans le palais. A l 'intérieur,
majordomes, pages, laquais, soldats de fortune et esclaves cuivrés
attestaient que le seigneur Cortés menait un train digne d'un vice-roi.
Des
valets passaient, portant de lourdes caisses qu'ils chargeaient dans les cours
sur des chariots. On préparait un voyage.
— La señora Zéphyrine de Bagatelle, annonça le majordome.
L 'homme
ouvrit les deux battants d'une porte et Zéphyrine se trouva... dans la chambre
à coucher du conquistador!
Vêtu
d'une somptueuse robe de chambre de brocart vert et or, une grosse émeraude à
l'oreille, Cortés commençait un repas préparé sur un guéridon, pour deux
personnes !
Il
se leva pour venir au-devant de Zéphyrine.
— Je
ne vous espérais plus, señora Zéphyrine.
— J'ai
été retardée par des affaires vous concernant, señor Cortés.
— Me
concernant ? s'étonna le conquistador.
L'appât
était lancé.
— Salut ! Soldat ! Sympathie ! croassa Gros Léon.
L'effet
fut instantané. Cortés, ravi, engagea conversation avec Gros Léon et Zéphyrine
s'assit en face du conquistador pour attaquer son troisième repas : chapons,
pigeons, cailles, lièvres, grenades, jaunes d'œufs au sucre et amandes au miel
se succédaient à un rythme infernal.
Cortés
engloutissait tout et parlait peu.
— Mangez... Mangez, Señora... J'aime qu'un convive ait bon
appétit !
Stoïquement,
Zéphyrine avalait, essayant de jeter discrètement de la nourriture à Gros Léon.
Enfin, des serviteurs au teint cuivré passèrent des aiguières d'or. Zéphyrine
remarqua l'air triste et lointain de ces hommes venus des Indes espagnoles.
— Ce sont des bougres d'Aztèques... Il n'y a pas grand-chose
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