La Rose de Sang
citronniers.
— Savez -vous, Señora, que les anciens les appelaient « îles Fortunées » et prétendaient qu'il
s'agissait du paradis terrestre ? dit Cortés.
Il
semblait décidé à faire la paix. Zéphyrine n'avait rien contre. Elle se fit
gracieuse.
— En
effet, Messire... Platon lui-même ne dit-il point dans le Timée qu'elles seraient les derniers vestiges du royaume de l'Atlantide disparu dans
un cataclysme ?
— Saumon ! Satisfait ! Saucisse ! glapit Gros Léon.
Pendant
un moment, le conquistador et Zéphyrine firent assaut d'érudition. Visiblement, Cortés
voulait se montrer à la hauteur intellectuelle de sa passagère.
Il
lui apprit que le grand Juba de Maurétanie, en l'an 25 avant J.-C., aurait
trouvé l'archipel sur son chemin et l'aurait appelé les « îles aux Chiens »,
car il en avait rapporté des molosses.
— Mais c 'est un Français, un Normand, Jean de Béthencourt qui les redécouvrit en 1402, rétorqua Zéphyrine.
Cortés
l'admit et il reconnut que la résistance héroïque des Guanches [85] ,
premiers habitants des îles, en avait retardé la conquête par l'Espagne.
— Les Guanches ? interrogea Zéphyrine, prise pour une fois en
flagrant délit d'ignorance.
Satisfait
de marquer un point, Cortés lui expliqua que les aborigènes survivants étaient
les héritiers d'une civilisation assez mystérieuse, mais offrant de troublantes
analogies avec les Sarrasins et les Indiens de la Nouvelle-Espagne.
— Vous
voulez dire, messire Cortés, murmura Zéphyrine, intéressée au plus haut
point,... que les Sarrasins luttant contre les croisés du royaume de Jérusalem
et les indigènes d'au-delà de la mer Ténébreuse [86] auraient communiqué... ?
La
théorie était tellement osée que Zéphyrine l'acheva dans un chuchotement.
Cortés
lui répondit sur le même ton.
— L'homme qui ne voyage pas ne peut imaginer ces choses. Mais
je pense que si Juba a pu venir ici, d'autres ont pu traverser, même en
radeau... Voyez-vous, Señora... (Cortés baissa encore plus la voix)... je ne crois pas que messire
Christophe Colomb ait découvert les Indes...
— Comment?
Zéphyrine
était suffoquée.
— Il y a d'autres terres après la mer du Sud, Cristóbal et moi
en sommes convaincus. Bien sûr, nous ne pouvons en parler sans certitude. Tout
se complique, car non seulement le monde est une boule, mais... il tourne,
Señora... il tourne...
Cortés se signa.
«
La théorie de Fulvio ! » Zéphyrine commençait à trouver le conqu istador beaucoup
plus intéressant qu'il n'y paraissait de prime abord.
Un
lieutenant venait chercher le conquistador pour la manœuvre. Cortés salua
Zéphyrine et monta rejoindre son pilote.
Le
galion était arrivé en vue d'un bloc basaltique aux falaises abruptes : l'île de Gomera.
Une
calanque naturelle offrait un abri remarquable à la flota. Les vaisseaux
jetèrent l'ancre devant le petit port de San Sébastian. Les chaloupes
furent mises à l'eau et les passagers descendirent à
terre.
La
première chose que Zéphyrine voulut savoir, c'était si le Santiago avait mouillé devant l'île.
— Non, répondit un habitant, l'autre flota a fait relâche dans
le port de Santa Cruz de La Palma.
— Les vaisseaux sont-ils toujours là? s'enquit Zéphyrine, le cœur
battant.
— Nenni, mon gars, z'ont mis à la voile hier matin...
C'était
trop injuste, les avoir ratés de vingt-quatre heures.
N'écoutant
que son instinct maternel, Zéphyrine alla trouver Cortés qui avait installé ses
pénates dans la plus belle maison du port, pour lui demander de repartir sans
tarder dès le lendemain.
Le
conquistador regarda Zéphyrine comme une personne ayant perdu l'esprit.
— Madame, j'ai la charge de cette escadre et dois assurer sa
Sécurité. Nous repartirons quand nous serons prêts...
Dans
son impatience à rattraper doña Hermina, Zéphyrine eut la maladresse
d'insister.
— Messire, je vous en prie, faites vite, je meurs loin de mon
fils et...
Cortés
coupa sèchement :
— Je n'ai aucune raison valable de chercher à vous faire
Plaisir, Señora. Du reste, je tiens à vous avertir de la décision que J ai
prise vous concernant...
— Me concernant? répéta Zéphyrine avec une pointe d'inquiétude.
— Vous resterez ici après notre départ, attendant le passage
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