La Sibylle De La Révolution
avoir glissé de
nombreuses fois, s’être écorché les doigts, il s’était enfin élevé d’une
hauteur d’homme. Il leva la tête : les fenêtres du premier étage lui
paraissaient bien hautes.
« Il vaut mieux ne pas
regarder. »
Et il continua.
Rapidement, la transpiration
coula sur sa figure, ses muscles étaient soumis à une telle tension, à des
efforts tellement inhabituels qu’il tremblait. Et, à tous ces désagréments,
s’ajoutait encore la peur de tomber car, maintenant, il était presque à
mi-hauteur et une chute à ce niveau lui romprait si ce n’est le cou du moins
une jambe ou, plus sûrement, une cheville.
« Pourquoi ai-je toujours
de si bonnes idées ? » se morigéna-t-il. Il pourrait être chez lui
bien tranquillement à dormir, au lieu de cela…
Sa main rencontra le vide. Il
eut un instant de panique. Les prises étaient si ténues et la pierre si
glissante. Mais non c’était tout simplement un encadrement de fenêtre. Il était
arrivé.
En sueur, essoufflé, les
membres raides et tremblant de partout, il prit pied sur l’appui. Compte tenu
de la chaleur qui avait régné tout le jour, on n’avait pas fermé la fenêtre. Il
pénétra dans la pièce et, tout en essayant de faire le moins de bruit possible,
il rejoignit le couloir qui menait à l’escalier du peuple. Il se trouvait dans
les arrières de l’amphithéâtre de bois aménagé pour les séances de la
Convention dans l’arrière-salle des Machines. Il lui fallait prendre
garde : qui sait si une sentinelle n’avait pas été laissée là en
faction ?
Avec d’infinies précautions, essayant
de calmer les battements de son cœur et d’essuyer la sueur qui lui coulait du
front, il descendit lentement le vaste escalier de pierre qui bruissait la journée
du bavardage des quémandeurs, des pétitionnaires, des vendeuses de cocardes et
de tout ce petit peuple qui tournait autour de la représentation nationale.
L’escalier débouchait sur des galeries basses qui longeaient le bâtiment. C’est
là qu’il trouverait ce qu’il était venu chercher : le Comité des
pétitions, correspondances et renvois. La porte était fermée à clef, bien sûr,
mais il n’en était plus à une infraction près. Prenant le couteau avec lequel
il avait tué Prunelle de Lierre, il força la serrure. Enfin, il était dans la
place !
Immédiatement, il alluma une
bougie et se mit à chercher. Ce n’était pas chose facile alors que seule la
lueur tremblotante de la chandelle éclairait les rayonnages emplis de dossiers,
de registres, de courriers classés dans un ordre hermétique pour le commun des
mortels. Mais Gabriel-Jérôme savait s’y retrouver dans ce fatras. Il fallait
chercher un document déjà ancien. Avant la Convention. Avant même qu’on ne
décide du début de l’ère des Français et du nouveau calendrier. Il ne se
souvenait plus de la date mais…
Ça y est ! Comme dans ses
souvenirs, la lettre était là.
« Rapport reçu à
l’Assemblée et renvoyé au Comité d’instruction publique le 21 juillet
1792. » Telle était la mention manuscrite qui figurait sur le document. Il
ouvrit et lut fébrilement :
La Nation française possède à
peu près tout ce qui lui est nécessaire pour faire fleurir toutes les sciences
excepté l’anatomie. Elle a en vérité deux cabinets, dont l’un placé à Charenton
est trop loin de Paris et ne renferme principalement que l’anatomie
vétérinaire. Le second, au jardin du roi, ne présente que des objets de pure
curiosité, et ne contient en anatomie que ce qui peut être relatif à l’histoire
naturelle générale… Ainsi, à part quelques petits cabinets de curieux,
présentant des préparations venant toutes de la main de M. Fragonard et
utiles aux seuls propriétaires, nous n’avons absolument rien en France pour
éclairer le génie de cette carrière, très peu avancée quoiqu’on y ait beaucoup
travaillé. Nous venons proposer à l’Assemblée nationale une institution qui
nous manque, institution sans laquelle la médecine et la chirurgie seront
toujours stationnaires, l’établissement d’un cabinet anatomique national…
En fouillant dans le même
classeur, il trouva une nouvelle note, beaucoup plus récente celle-ci : du
15 floréal, an II.
Les parasites attaquent les
précieuses collections qui sont exposées à la poussière. La pluie traverse le
toit, les armoires ne ferment pas. Les rats courent dans les salles, les
Weitere Kostenlose Bücher