La Sibylle De La Révolution
avant d’entrer dans Paris.
Ils longeaient maintenant la
Marne et, bientôt, s’offrit à eux, vaguement éclairée par la lune, la haute
silhouette du pont aux toits pointus et moyenâgeux...
— C’est beau, murmura-t-elle.
— Oui. J’espère que nous
pourrons le franchir sans problèmes.
Sur la rive où ils se
trouvaient s’élevait un haut et très ancien moulin. Le pont traversait la
rivière et plusieurs baraques en bois de style gothique avaient été construites
dessus. Là-bas, de l’autre côté, se découpant sur le ciel étoilé, on apercevait
le temple et son clocher.
Il lui prit la main.
— Allons-y.
Dépasser le hameau, de même que
le moulin de la rive droite, ne leur posa pas de problème.
Par contre, parvenus au milieu
du mont, ils approchèrent du poste de garde construit en son centre.
Sénart frissonna. L’ouvrage
d’art exsudait une ancienneté immémoriale. De véritables arbres avaient poussé
le long des piles qui plongeaient dans la Marne et une humidité spongieuse recouvrait
chaque pierre.
— Au premier coup de canon, il
s’écroulera, grommela-t-il.
Le poste de garde était occupé
par trois sentinelles. Des hommes d’armes en uniforme bleu. Il fut incapable de
décider s’il avait affaire à des gendarmes, des gardes nationaux, ou à de véritables
militaires. À moins qu’il ne s’agisse des forces armées attachées à la commune.
— Hé, citoyen, en voilà une heure
pour passer !
Celui qui paraissait le plus
âgé se leva et rajusta son tricorne à l’ancienne mode.
— Voilà qui est suspect,
suggéra le deuxième plus jeune et qui portait un bonnet phrygien. Quant au
troisième, penché par-dessus la rambarde pour vider sa pipe, il se contenta de
cracher dans l’eau.
— Il va falloir en appeler à la
commune.
Mais le plus jeune
protesta :
— Non, moi, je crois qu’il faut
prévenir la section !
Le troisième grommela :
— Deux citoyens à cette heure
de la nuit : à moins qu’ils ne présentent de bonnes raisons et des papiers
justifiés, c’est le Comité qu’il faut prévenir !
— Je ne suis pas
d’accord : la commune doit d’abord savoir !
— Je te rappelle, citoyen, que
la section possède un droit de regard sur le trafic de ce pont ! Et ce,
depuis l’an I.
— La sécurité nationale dépend
des Comités, citoyens !
Sénart allait intervenir, mais
Marie-Adélaïde le devança :
— Ma foi, citoyens, nous
n’avons strictement rien à cacher et c’est volontiers que nous nous soumettrons
à vos investigations. Je crois que le plus sage serait de prévenir
simultanément ces trois institutions.
Les trois hommes
s’entreregardèrent.
— Voilà qui me paraît un sage
avis, estima le plus âgé.
— Et que nous devrions suivre
derechef, renchérit le deuxième.
— Je propose donc, citoyen, que
nous partions immédiatement afin de retarder le moins possible nos deux
voyageurs.
Les trois hommes se levèrent,
s’emparèrent de leurs armes et, au grand étonnement du secrétaire rédacteur,
prirent congé du couple, non sans remercier et congratuler les deux jeunes gens
au passage.
Sénart resta incrédule.
— Mais c’est insensé !
éclata-t-il dès que les gardes furent partis. Il n’y a donc plus personne pour
garder le pont !
Marie-Adélaïde se mit à rire.
— Que veux-tu ? Ils
s’ennuient à mourir à leur poste. À la première occasion, ils vont dormir un
peu ou boire à l’auberge. Allons-y, nous avons du temps mais le jour finira
bien par se lever et on ne peut exclure que quelques autres sentinelles ne se
présentent pour relever celles-là.
Ils franchirent donc le pont et
se trouvèrent enfin à Maisons-Alfort.
— Vas-tu m’expliquer maintenant
où nous allons ?
Il lui fit signe de se taire.
— Chut, nous arrivons.
Une haute porte s’élevait,
tableau un peu irréel en pleine campagne. Achetée du temps de Louis XV au
château de Bormes, la propriété s’étendait sur une grande superficie et les
grilles protégeaient un jardin bien entretenu.
— L’école vétérinaire, mais…
Déjà, Gabriel-Jérôme
s’approchait de l’entrée. Il dut sonner bien longtemps avant qu’un concierge ensommeillé
ne l’apostrophe avec humeur.
— Encore un de ces maudits
paysans ! Ce n’est pas parce qu’il y a marqué « vétérinaire »
que nous soignons les vaches ou les cochons. Ces messieurs ont autre chose à
faire.
— Je ne suis pas paysan et je
n’ai pas d’animaux à
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