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La Sibylle De La Révolution

La Sibylle De La Révolution

Titel: La Sibylle De La Révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Bouchard
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soigner.
    — Ah çà ! qui êtes-vous
donc ?
    Le jeune homme lui exhiba la
correspondance de Vadier :
    — Je suis secrétaire rédacteur
au Comité de sûreté générale. Je dois voir immédiatement M. Fragonard.
    Marie-Adélaïde derrière lui
poussa une exclamation :
    — Fragonard, mais alors…
    Le concierge, intimidé, ouvrit
la lourde grille.
     

16
            
    — Venez, citoyen, je crois que
le vieux Fragonard travaille encore. Il aime bien aller dans l’amphithéâtre.
Bah ! il n’a pas de public, qui donc aimerait lui voir faire les horreurs
dont il souille cette pauvre école ? Mais il fait comme si. Le
croiriez-vous, il prétend que c’est de l’art ! Bah ! dans ce cas, ce
bourreau de Sanson devrait figurer à l’Académie, vous ne trouvez pas ?
    Ils traversèrent une cour rectangulaire.
De grandes fenêtres s’ouvraient sur les bâtiments obscurs, à peine éclairés par
la lanterne du concierge ; on se serait cru dans le cloître d’un monastère.
    « C’est sinistre,
ici », songea Sénart.
    L’homme ouvrit la porte d’une
des bâtisses adjacentes et les invita à entrer. Leurs yeux s’habituèrent petit
à petit à la quasi-obscurité qui régnait. Mais le concierge s’avança avec sa lanterne.
Aussitôt le jeune fille poussa un cri.
    — Le cavalier. C’est lui !
    Sénart étouffa une exclamation.
Pétrifié, il contemplait une créature monstrueuse, comme sortie de
l’imagination de l’auteur de l’Apocalypse : un cavalier surnaturel venu
des enfers qui les observait avec un sourire sardonique.
    Le ricanement du concierge les
ramena à la réalité :
    — Vous voyez ce que je veux
dire. De l’art, ça ? Allons, à part faire peur aux braves gens, que
sait-il faire, ce citoyen Fragonard ?
    Gabriel-Jérôme prit la Sibylle
par le bras et s’avança avec circonspection. Il fallait se rendre à
l’évidence : ils avaient devant eux un corps naturalisé. Ou plutôt deux
corps car l’écorché humain qui dévoilait sa mâchoire grimaçante montait un
cheval préparé de la même manière. Sénart se surprit même à admirer le travail.
Chaque muscle, chaque tendon, chaque veine, nerf ou artère était préservé,
comme stoppé brusquement en plein effort. Les lambeaux de peau découpés dans le
dos de ce qui avait été un être humain faisaient comme de grandes ailes de
cuir, ajoutant encore à son aspect fantastique. Et le cheval : une créature
d’enfer, venue des plus noirs cauchemars, des plus anciens mythes. En
Forêt-Noire, là-bas, de l’autre côté du Rhin, il avait entendu des légendes
parlant d’un cavalier parcourant la forêt au rythme d’une chasse maudite et
éternelle. Il l’avait devant lui.
    — On raconte des choses
étranges sur ce cavalier, continua le concierge. Ce serait le corps d’une fille
qu’aurait aimée Fragonard dans son jeune temps. Après sa mort, il ne put se
consoler et alla nuitamment déterrer son cadavre pour en faire cette… chose. Ma
foi, cela ne me paraît pas impossible. Allons, il doit être à l’amphithéâtre.
C’est par là.
    Il leur fit signe d’avancer. Le
long des salles, ils croisèrent des dizaines et des dizaines de créatures
semblables au cavalier et à sa monture. Hommes dont on avait enlevé la peau et
qui paraissaient vous contempler avec une fureur inextinguible, petits groupes
de fœtus qui dansaient la gigue, animaux prêts à bondir bien qu’on distingue
parfaitement tous leurs organes internes. Ils étaient dans l’antichambre de
l’enfer.
    — Voilà, il est là. Enfin, je
crois.
    Sénart tenta de retrouver sa
résolution, il poussa la porte et entra, suivi de Marie-Adélaïde.
    Ils étaient maintenant dans un
vaste amphithéâtre aux gradins de bois, éclairé par une seule lanterne. Au
milieu, tout en bas, un homme s’affairait autour d’une table. C’était un
vieillard, il portait une blouse d’ouvrier et, manifestement, les soins du
corps ne devaient pas être sa préoccupation première. Ses cheveux blancs,
rares, se dressaient au-dessus de sa tête, il reniflait et parlait tout seul en
travaillant. Sénart s’approcha : un cadavre avait été étendu sur la table
équipée de rigoles pour récupérer les liquides corporels qui s’écoulaient
lentement dans une bassine placée dessous. Il régnait une odeur de mort dans la
pièce.
    — Reste ici, ordonna-t-il à
Marie-Adélaïde.
    La jeune femme approuva de la
tête et s’assit en tremblant sur l’un des

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